Les réverbères : arts vivants

Peer, prêt à tout pour sauver Mère

Seul en scène, mais accompagné tout de même du Lemanic Modern Ensemble, Quentin Teixeira nous emmène dans l’imaginaire nordique, avec Les Aventures de Peer. Grande performance physique, impressionnante palette de jeu, émotions et humour : tout est réuni pour nous émerveiller. C’était à voir au Théâtre Am Stram Gram du 28 au 30 novembre. 

On avait pu en voir deux épisodes dans le cadre du festival Théâtre en Campagne, les voilà mis ensemble avec quelques éléments revus, mais toujours la même énergie et encore plus d’émotions. Exit le personnage du narrateur, nous entrons in medias res dans l’histoire. Contemplant la corde qui descend du ciel à cour, Peer promet à Mère de parvenir un jour à y grimper, pour toucher le ciel et la sauver. Mais pour l’instant, c’est trop dur. Il faut donc trouver une autre solution pour la soigner, comme, par exemple, se rendre au Royaume des Morts. Pour ce faire, il faut d’abord trouver la clé. Et c’est accompagné de la princesse des Trolls que Peer se rend auprès du père de cette dernière pour tenter de l’obtenir. Il y rencontre donc le Roi, mais aussi ses sujets, que sont Boule, Mordre, Large et Long. Grâce à sa ruse, il s’en sort, avant que de nouveaux défis ne se présentent à lui au Royaume des Morts, face aux responsables de chaque étage, pour qu’il tente de récupérer la potion qui guérit toutes les maladies. Avec Quentin Teixeira, nous plongeons donc dans les mythes nordiques pour suivre les Aventures de ce jeune garçon prêt à tout pour sauver Mère. 

Musicalité et corporéité 

En entendant le nom de Peer, on pense bien sûr au Peer Gynt d’Henrik Ibsen. Si certains éléments de l’histoire semblent en effet en être inspirés, ici, la motivation première de Peer est de sauver Mère. Une réflexion pas du tout présente dans l’œuvre du dramaturge, donnant à ce jeune Peer une dimension plus naïve, qui le conduit à vivre des folles aventures. Ce qu’on retrouve en revanche, c’est la dimension musicale, la version d’Ibsen ayant été mise en musique par Grieg. Le Lemanic Modern Ensemble interprète des morceaux connus, réarrangés pour l’occasion par Quentin Teixeira. On pense aux musiques d’Andrew Prahlow, composées pour le jeu vidéo Outer Wilds, et dont le thème devient celui des Aventures de Peer. Durant son parcours dans le Royaume des Morts, Peer récupère plusieurs instruments – ocarina, ukulélé, violon… – avec lesquels il interprète ce morceau, comme le thème récurrent d’un film. On ne peut pas non plus résister à l’envie de vous en dévoiler un peu plus, avec une incroyable réinterprétation du générique de Pokémon, d’abord seul au piano, puis accompagné de l’orchestre. Que de nostalgie ! Sans dire à quel moment cela intervient, on vous dira simplement la leçon qu’on en retient : la musique doit être jouée avec le cœur plus qu’avec la tête. 

En plus de la musique, on retient surtout l’impressionnante performance physique et corporelle de Quentin Teixeira. Occupant toute la scène, presque sans décor – si ce n’est une tenture avec le lit de Mère, une corde à cour, et une ou deux chaises qu’il apporte de temps à autre – il interprète plus d’une dizaine de personnages. Il y a, bien sûr, Peer, mais aussi la princesse et tous les autres trolls, ainsi que les responsables des étages du Royaume des Morts. Sans oublier l’incontournable mouche qui l’accompagne dans toutes ses aventures et s’avère indispensable à leur réussite. La grande force de l’interprétation de Quentin Teixeira est de parvenir, sans costume ni accessoire, à donner vie à chacun de ces personnages, par leur voix propre, des expressions caractéristiques de chacun, ainsi qu’une dimension corporelle et gestuelle toujours présente. On évoquera par exemple, pour la mouche, son fameux « comme par hasard », accompagné du léchage de ses mains ; la grâce de la dernière responsable d’étage du Royaume des Morts, qui a l’air de toujours danser et ponctue toutes ses interventions en appelant Peer « Amour » ; ou encore Long, dont les diatribes sont toujours trop longues et exagérément bien-pensantes. On se figure ainsi tous les personnages, sans jamais les mélanger, même dans les scènes de dialogues. La manière dont il fait interagir les rôles rappelle le champ / contre-champ du cinéma : il change de posture et de position à chaque réplique, comme lors de l’arrivée de Peer au Royaume des Morts : assis sur une chaise, il s’accroupit sur l’autre en prenant l’accent du midi du responsable de l’étage, qui nomme cette fois le jeune garçon « mon Loulou », et revient à sa position initiale avec une incroyable dextérité. Cette dimension presque cinématographique est encore accentuée, nous l’avons déjà évoqué, par la musique jouée en live et rappelant celle de certains films, pour une dimension encore plus épique des Aventures de Peer. 

Ce qui compte, c’est le voyage 

Le prétexte de base de cette histoire est touchant : Peer veut sauver Mère, alors que celle-ci est déjà morte. Mais il semble ne pas véritablement s’en rendre compte, ou alors il ne l’accepte pas. Cet état de fait touche avec poésie la question du deuil et du déni. Comment accepter qu’un être aussi important, celui qui nous a donné la vie, puisse quitter ce monde ? Il y aussi cette dimension naïve, dont nous parlions précédemment, de la volonté de rendre fière cette Mère. Peer lui raconte tous ses exploits : la façon dont il est venu à bout des monstres qui sont entrés dans la maison, comment il a défié le Roi des Trolls, ou encore la manière dont il s’est lié d’amitié avec la mouche qui venait l’embêter tantôt. Tout ce rapport mère-fils est subtilement développé dans tout le spectacle, avec également la relation de Peer aux autres personnages, qui deviennent pour lui un soutien et lui donnent la force nécessaire pour tenter de grimper à la corde. 

Les Aventures de Peer semblent aussi nous raconter comment surmonter le deuil sans vraiment s’en rendre compte. Car, que retient-on finalement de cette histoire, si ce n’est les ami-es que Peer se fait en chemin et toutes les rencontres auxquelles on assiste ? Ses aventures s’apparentent alors à une véritable quête d’apprentissage. Il développe son côté malin, sa réflexion, mais aussi son courage et ses sentiments. Le message peut paraître banal, mais est parfaitement amené par un jeu d’équilibre présent tout au long du spectacle, entre humour et émotion. Les enfants rient des frasques de la mouche, des combats épiques de Peer face aux monstres avec une épée en bois, tant que les adultes sont hilares face aux interminables pamphlets de Long… Pourtant, on est aussi ému aux larmes par la musique, la douceur de Peer, le soutien de la princesse, la difficulté à sauver Mère. Les différents niveaux de compréhension et de ressentis créés par Quentin Teixeira font des Aventures de Peer un grand spectacle, dont on ne peut que demander une suite ! 

Fabien Imhof 

Infos pratiques : 

Les Aventures de Peer, de Quentin Teixeira, du 28 au 30 novembre 2025 au Théâtre Am Stram Gram. 

Mise en scène : Quentin Teixeira 

Avec Quentin Teixeira et les musicien-nes du Lemanic – flûte : Claire Chanelet ; clarinette : Nicolas Nageotte ; basson : Fanny Monjanel ; percussion : Jean-Marie Paraire ; piano : Nicolas Vandewalle ; violon : Julien Lapeyre ; violoncelle : Amandine Lecras-Paraire ; contrebasse : Cédric Carlier | Arrangements : Samuel Tupin 

https://www.amstramgram.ch/fr/programme/les-aventures-de-peer 

Photos : ©Grégory Batardon 

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

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