Projet hippique et épique avec les Old Masters
Dès le 25 septembre, les Old Masters reviennent à la Maison Saint-Gervais avec leur nouvelle création, Le Cheval qui peint. C’est l’occasion pour la Pépinière d’effectuer son premier reportage de la saison, en assistant à un filage de la pièce, une dizaine de jours avant la première.
À mon arrivée dans la salle du sous-sol, on est en train de procéder aux derniers réglages en vue du filage : on demande à Sarah André quel maquillage il faut utiliser, on lui demande de régler les perruques et de les recoiffer. Sur la scène, on aperçoit un tapis blanc au sol, entouré de rideaux verts. Nous sommes dans un intérieur, avec une entrée en fond de scène à cour, une fenêtre ronde au centre, et une toile blanche à jardin. Derrière les rideaux verts, une toile moutarde figure l’extérieur fictif. Pas de doute, nous sommes chez le cheval dont il est question ici, et duquel le corps sera exploré. Après avoir discuté rapidement du déroulé de la pièce, de quelques sorties et entrées de scènes, et une fois les micros réglés et les perruques ajustées, on peut commencer. Le but de ce filage n’est pas encore de rendre parfaitement le texte, mais plutôt de tester des choses, notamment le début du spectacle, tout en se permettant encore d’improviser certains éléments, susceptibles d’évoluer. La lenteur et le silence de la première scène – qui risque encore d’évoluer – rappellent d’ailleurs Fresque, pour nous laisser le temps d’entrer dans le récit.
Être hybride pour la première création maison
Le Cheval qui peint est un projet original qui constitue donc la première création de la saison à la Maison Saint-Gervais. Les trois comédien-nes au plateau – Julia Botelho, Anne Delahaye et Marius Schaffter – incarnent chacun-e une partie du cheval (tête, ventre et arrière-train), et vont jusqu’à fusionner pour créer cet être nouveau et hybride. Comme toujours chez les Old Masters, il y a une grande part d’expérimentation. On avait pu s’en rendre compte à l’occasion de notre tout premier reportage, autour de La Maison de mon esprit. La dimension métadiscursive est cette fois-ci poussée un peu plus, puisqu’il s’agira de questionner les ressorts de la création artistique. Le texte du spectacle est né d’une création collective, à travers les réflexions, pensées, rêves et envies communes des membres du collectif, pour finalement former un tout, à l’image du cheval.
L’inspiration du cheval remonte à très loin, puisqu’on retrouve cette idée des animaux artistes au début du XXe siècle. Les Old Masters puisent leur réflexion dans Hans le malin, cheval capable de lire les émotions humaines, ou encore dans Lolo, cet âne qui peignait dans les années 1910. La musique qui accompagne le spectacle est signée Nicholas Stücklin et contribue à interroger toutes les dimensions de la figure de l’artiste : intention, geste, regard, qui se pose sur l’œuvre. Pour ce faire, des moments de contemplation, rappelant aussi le mouvement équestre et les paysages traversés, seront convoqués. Dans cette invitation à rêver et à prendre le temps de se questionner, les Old Masters, avec leur créativité plastique, tendent à contrer l’omniprésence de l’intelligence artificielle et nous invitent à (re)prendre le temps d’observer ce qui nous entoure.
Débriefer pour améliorer
Le filage du spectacle, avec de nombreux éléments encore en construction, est suivi d’un moment de discussion, durant lequel chacun-e donne son ressenti, tour à tour. Les deux regards extérieurs permettent d’apporter un regard différent de celles et ceux qui créent le spectacle, avec une découverte du projet, ou un recul qui n’est pas le même. Le premier évoque ainsi le côté à la fois poétique et absurde de la pièce, avec cette simplicité du quotidien dans les dialogues. On pense à un conte philosophique, dans lequel le monde crie, et où se trouve en même temps une grande tendresse. Il apprécie particulièrement les ellipses et autres espaces pour rêvasser. On souligne alors ces longs temps de silence, durant lesquels on mise sur la capacité des spectateur/trices à réfléchir et interpréter les choses. On se demande alors à quel point on peut pousser ce travail du public, sans devenir trop hermétique. Il faut réfléchir aux liens entre les scènes, aux discours, aux mouvements, aux rapports entre les comédien-nes. Mais le potentiel à développer est encore immense, à dix jours de la première. Le second intervenant évoque, dans ce qu’il comprend du récit, la question du faire ensemble, et comment concilier les egos, ce qu’on fait de son côté – et qu’on reproche d’ailleurs aux autres – avec ce point central de l’opposition apparente entre chaque partie et le tout.
Des réflexions d’ordre plus pragmatique se posent également : on souligne ce qui convainc moins, on réfléchit aux durées, aux parties chorégraphiées, au rythme, à la manière d’inclure le public dans les scènes… Bien sûr, des détails techniques doivent encore être réglés : les lumières qu’on aperçoit encore sous les rideaux, les micros qui ne fonctionnent pas toujours, la scénographie qui n’est pas encore définitive, ou encore la projection de la voix-off, dont on ne comprend pas toujours bien d’où elle vient. Reste encore à travailler la spatialisation du son, tout étant amplifié par les micros, pour différencier la voix off de Jérôme Stünzi de celle des comédien-nes au plateau. Les couleurs sont également mises en question : le contraste est flagrant entre l’intérieur vert et le faux extérieur moutarde, mais il l’est moins entre le costume de cheval et la peau des personnages, pour l’instant peinte en bleu. Faudrait-il marquer plus cette différence pour souligner l’écart de fonctionnement entre l’intérieur et l’extérieur, et donc entre le ou la comédien-ne et le cheval ? D’autres questions sont aussi soulevées, sur le rôle des noirs : doivent-ils servir de transition « magique » ou faut-il montrer qu’il se passe quelque chose ? Cela entre en résonance avec le propos de la pièce et la question de la création artistique, sur ce qu’on montre ou non, comment on fait, ensemble ou seul-e…

Désormais, il faut procéder comme en horlogerie : en allant dans les détails pour affiner le tout, choisir les coupes à faire pour rendre l’ensemble plus efficace. Dix jours avant la première, on se trouve à une étape charnière où des choix radicaux doivent être faits, sur les réflexions à poursuivre et celles à abandonner. Les regards extérieurs s’avèrent ainsi précieux, dans la discussion avec le collectif : on confronte les intentions aux ressentis, qu’ils soient sur scène ou dans les gradins. On réfléchit encore aux effets de voix, aux filtres qu’on pourrait utiliser ou non. De nombreux points doivent encore être expérimentés, pour mieux structurer l’espace. À l’image aussi de la scène d’ouverture, testée pour la première fois ainsi, mais qui n’a pas entièrement convaincu, même si certaines idées semblent intéressantes. Avec encore plusieurs jours de travail, on imagine donc que de nombreux éléments vont encore évoluer, suite aux essais et autres discussions. Et on se réjouit de découvrir le résultat final, avec toutes les évolutions, qu’elles soient techniques, chorégraphiques, rythmiques ou visuelles, qui seront apportées.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Le Cheval qui peint, du collectif Old Masters, du 25 septembre au 5 octobre 2025 à la Maison Saint-Gervais.
Écriture, chorégraphie et mise en scène : Sarah André, Marius Schaffter et Jérôme Stünzi
Scénographie et costumes : Jérôme Stünzi et Sarah André
Avec Julia Botelho, Anne Delahaye et Marius Schaffter
Composition et création sonore : Nicholas Stücklin
Création lumières : Joana Oliveira
https://saintgervais.ch/spectacle/le-cheval-qui-peint/
Photos : ©Old Masters (photo de plateau) et ©Matthieu Croizier x Dual Room (visuels)

