Les réverbères : arts vivants

Qui dominera l’autre ?

Avec La Vénus à la fourrure, l’Alchimic interroge les rapports de force et de domination entre les genres, dans un huis clos fonctionnant par mises en abyme successives. À l’ère du #metoo, la dimension métaphorique et mythique de ce spectacle mis en scène par Sylvain Ferron prend un sens tout à fait nouveau.

Thomas Novacek (Frédéric Landenberg) veut adapter à la scène le roman de Leopold von Sacher-Masoch, La Vénus à la fourrure. Mais après avoir auditionné une quarantaine de comédiennes, il n’en trouve aucune qui lui convienne pour jouer le rôle de Vanda. Toutes lui paraissent incapables ou inadaptées au rôle, avec leurs manières modernes de parler qui lui déplaisent tant. C’est alors que débarque, alors qu’il s’apprêtait à partir, la mystérieuse Vanda Jourdain (Dominique Gubser). Et si le hasard faisait bien les choses ? Pourtant, avec ses airs de nunuche, son retard et sa tenue adaptée pour une pièce sadomasochiste (c’est elle-même qui emploie ces termes), elle ne part pas gagnante ! Mais lorsque l’audition débute finalement, elle surprend Thomas. On entre alors dans une nouvelle dimension, avec une mise en abyme des rapports de force et un potentiel renversement qui pourrait surgir.

Harcèlement ou manipulation ?

À la lecture du synopsis, on pourrait rapidement croire avoir compris de quoi il va retourner durant la soirée. On peut craindre que le spectacle ne tombe dans quelque chose de lourd et graveleux. Le début pourrait d’ailleurs le laisser penser : Thomas, au téléphone avec sa fiancée, lui dit « s’être tapé 40 comédiennes ». Le choix des termes est loin d’être anodin, et le double sens est équivoque. Il se montre d’ailleurs hautain, envoyant d’abord paître la pauvre Vanda qui a enchaîné les galères avant d’arriver là. Quant à elle, avec son chewing-gum qu’elle mâche allègrement, sa voix nasillarde lui donnant un air godiche et sa tenue en cuir qui n’a rien à voir avec l’époque à laquelle prend place la pièce, elle n’est pas en reste. Jusqu’à ce qu’elle annonce avoir pris avec elle robe une robe du XVIIIème

L’audition commence alors, et Vanda se métamorphose : voix posée, jeu intense et d’une incroyable justesse. Elle semble avoir parfaitement saisi l’essence du personnage. Thomas, comme le public, est surpris. Une fois l’effet comique passé, on comprend qu’il ne s’agit que d’un avant-goût de ce qui va se jouer ensuite. Avec cette pièce dans la pièce, la mise en abyme est totale, d’autant que le texte de Leopold von Sacher-Masoch interroge lui aussi les rapports de force et de domination. Sans compter que la pièce de Davis Ives est signée sous le même titre. Plus le spectacle avance, moins les deux univers semblent cloisonnés. Les frontières se faisant plus perméables, on ne sait plus si ce sont Thomas et Vanda, ou Vanda et Severin (le personnage de la pièce de Sacher-Masoch). Si bien que les personnages eux-mêmes semblent s’y perdre. Sans oublier la figure de Vénus qui plane sur l’ensemble de la soirée… Qui harcèle qui ? Quel est le niveau de manipulation ? Difficile de le savoir avant la fin.

Performance impressionnante

Tout ce jeu sur les deux diégèses ne serait toutefois pas possible sans une magnifique performance des deux comédien·ne·s. Commençons par Dominique Gubser, alias Vanda, alias la Vénus à la fourrure. Son interprétation est d’une puissance rare, mêlant différents registres entre lesquels elle virevolte avec une incroyable aisance. Capable de passer d’un personnage à l’autre sans transition, elle joue aussi bien la nunuche bébête que la femme posée et de caractère, allant même jusqu’à un rôle de séductrice, voire de dominatrice. Sans oublier les deux dernières figures qu’elle incarne, mais dont on ne peut parler ici sans trop en dévoiler sur la fin de cette histoire.

En face d’elle, Frédéric Landenberg lui donne parfaitement la réplique. D’abord (trop ?) sûr de lui, voire hautain, son personnage bascule rapidement dans le doute, voire la soumission. L’aller-retour entre ces trois états est constant, et il représente parfaitement cette figure de l’homme de pouvoir complètement démuni lorsque les rapports de force commencent à se renverser.

Au final, La Vénus à la fourrure s’avère être un spectacle plein de finesse, dans son écriture, sa construction, sa mise en scène et dans le jeu de ses deux acteur·ice·s, qui tiennent parfaitement ce huis clos. La dimension presque mystique apportée par le rôle de la Vénus, et toute la réflexion métaphorique que cela développe, apporte un nouveau regard sur l’actualité de ces dernières années et l’inversion des rapports de force. Ou quand les coupables doivent faire face à leurs paradoxes et à leurs comportement malsains…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

La Vénus à la fourrure, de Davis Ives, du 13 au 30 mars 2025 au Théâtre Alchimic.

Mise en scène : Sylvain Ferron

Avec Dominique Gubser et Frédéric Landenberg.

https://alchimic.ch/la-venus-a-la-fourrure/

Photos : © Anne Colliard

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *