Les réverbères : arts vivants

Roberto Devereux ou la douleur de la trahison

Troisième volet de La Trilogie des Tudors, Roberto Devereux, écrite en 1837, est reconnu pour être une des œuvres les plus réussies et poignantes de Gaetano Donizetti. Au Grand Théâtre de Genève, cet opéra qui prend aux tripes se donne du 31 mai au 30 juin.

Un défi d’envergure pour Elisabeth 1re

L’histoire qui se joue dans cet opéra basé sur de maigres faits historiques est au fond assez banale : une femme qui aime un homme, qui lui-même aime follement une autre, qui elle est déjà mariée. Dit comme ça, on pourrait penser à un vaudeville. Pourtant, Donizetti écrit tout en nuances et en subtilité ce qui anime les protagonistes et fait de cette « triangulation » une tragédie  qui touche et émeut. La trahison semble accabler tous les personnages et l’air devient épais. La musique naturellement sous-tend l’action et les sentiments  et les rôles principaux sont soumis à une partition qui nécessite une technique indéfectible en particulier pour Elisabeth, interprétée par Ekaterina Bakanova (en alternance avec Elsa Dreisig). Le rôle demande une très grande tessiture, avec des passages de bravoure nombreux et longs ainsi qu’une rapidité de changement de registre impressionnante. La voix dorée et chaude de Bakanova est incisive et agile quand il le faut. Elle interprète cette Reine folle d’amour et délaissée, avec l’âme au bord des lèvres ainsi qu’un legato qui sert sa magnifique musicalité. Les aigus percutants, parfois déchirants font de cette souveraine vieillissante une femme accablée qu’un amour sans retour consume. Un hommage au belcanto. Le personnage de Sara (Aya Wakizono, en alternance avec Stéphanie d’Oustrac), un peu insipide d’abord, sur le plan vocal comme sur le plan scénique, se métamorphose au fur et à mesure que sa passion se dévoile, pour devenir éblouissante dans la scène qui la confronte à son mari (Nicola Alaimo), baryton à la voix opulente, conduite avec précision et subtilité. En revanche Roberto Devereux, le ténor Mert Süngü,  a malheureusement de la peine à convaincre et peine à trouver le ton juste (si j’ose dire).

Une triangulation à quatre personnages

La Reine d’Angleterre Elisabeth 1re aime d’amour son favori, Roberto Devereux, éloigné de la cour pour défendre la Reine et son pays. Un premier tableau la montre de dos quasi prostrée devant un parterre d’hommes et de femmes habillé·e·s de noir, austères et peu engageant·e·s. Une jeune femme émue par la lecture qu’elle fait à sa souveraine s’éloigne de temps à autre pour cacher ses larmes. La Reine, vieillie et amère, nourrit sa toute-puissance d’une chimère, celle d’un amour non partagé. Mais l’objet de cet amour, le jeune Roberto, aime follement une jeune femme : Sara, jeune femme orpheline proche de la Reine que cette dernière marie au vieux Duc de Nottingham afin lui assurer un avenir, et ce en l’absence de Roberto, qui attendait son retour pour demander la main de Sara.

Accusé de trahison politique, Roberto Devereux doit se présenter à la cour. La Reine défend sa probité politique mais elle sent alors un changement chez son favori. Dès lors, pour elle, il s’agit d’une autre forme de trahison, celle du coeur. Ce qui est intéressant ,c’est que le Duc de Nottingham défend Roberto son ami et ne donne aucun crédit aux doutes de la Reine. Il sera l’ami indéfectible de Roberto, le défendant jusqu’à s’agenouiller devant la Reine pour implorer sa grâce. C’est au moment où il apprendra que la bien-aimée de Roberto n’est autre que sa propre épouse, que soudain l’homme, si conciliant quand il s’agissait de la douleur de la Reine, devient un être vengeur, violent et abusif. Est-ce à dire qu’une femme abusée devrait être clémente alors qu’un homme trompé aurait le droit de battre sa femme?

La metteuse en scène Mariame Clément fait de la réaction du Duc de Nottingham une scène violente où il menace, bat et insulte sa femme, alors que la Reine aime Roberto d’un amour sincère et inconditionnel (celui incestueux d’une mère peut-être !). Elle lui pardonnera, mais trop tard car Roberto mourra par la vengeance de son rival.

Une mise en scène poétique et délicate

La mise en scène réalisée par Mariame Clément est d’une délicate simplicité. On glisse d’un tableau à l’autre avec de douces transitions.

Des praticables situent l’action, comme cette chambre du palais étroite et sans perspective – peut-être à l’image de la vie de cette  femme malmenée par un vieux mari – où d’abord Sara et Roberto font l’amour et où plus tard le Duc de Nottingham  brutalisera sa femme et l’empêchera de porter une bague à la Reine, objet symbolique cher à cette dernière, qui attend vainement cet ultime geste d’amour pour dénoncer la sentence de Roberto.

Quelques scènes fantomatiques et poétiques, telle celle de la Reine errant sans but sous la neige ponctuent l’opéra, accentuant  la solitude  de cette souveraine abandonnée. Deux écrans que l’on ne remarque pas immédiatement flanquent la scène de part et d’autre. Une image de la Reine apparaît d’abord statique puis changeant d’expression au gré de l’action dans un ralenti à peine perceptible.

Une Reine qui du haut de son piédestal digital contemple son destin se dérouler impuissante et exsangue.

Le choix des costumes laisse songeur. Alors que la Reine Élisabeth porte une somptueuse robe d’époque et le vertugadin, les autres personnages portent  des tenues de ville pour le moins passe-partout. Une volonté peut être de mettre le projecteur sur le personnage principal, Elisabeth, dont l’opéra ne porte pas le nom.

Roberto Devereux n’est pas souvent à l’affiche, une raison de plus pour courir écouter la magnifique version que nous offre l’OSR, son chef Stefano Montanari et la metteuse en scène Mariame Clément, sans parler des chanteurs dont l’engagement de bout en bout touche l’âme et le coeur.

Katia Baltera

Infos pratiques :

Roberto Devereux, de Gaetano Donizetti au Grand Théâtre de Genève du 31 mai au 30 juin 2024.

Mise en scène : Mariame Clément

Avec Nicola Alaimo (Lord Duc de Nottingham) et en alternance dans les rôles principaux Eduardo Rocha et Mert Süngü (Roberto Devereux), Elsa Dreisig  et Ekaterina Bakanova (Elisabetta , Reine d’Angleterre)  Stéphanie d’Oustrac et Aya Wakizono (Sara)

https://www.gtg.ch/saison-23-24/roberto-devereux/

Photos : © Magali Dougados

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