Sauvez vos projets : méthodologie pour faire un spectacle (ou des tartines)
Cette saison, dans le cadre d’un partenariat, la Pépinière produit des reportages sur les créations programmées à la Maison Saint-Gervais afin de documenter les méthodes de travail des artistes.
À la Maison Saint-Gervais, on aime les métaphores, les mises en abymes et la méthodologie. Du 5 au 8 novembre, Antoine Defoort vous propose Sauvez vos projets (et peut-être le monde) avec la méthode itérative, un seul-en-scène en forme de conférence, qui propose une réflexion sur l’acte de créer. À quelques jours de la première, reportage.
Le temps fait grise mine, mais il y a du soleil et de l’humour dans la voix d’Antoine Defoort, au téléphone. Entre rires et métaphores, il revient à bâtons rompus sur l’essence de Sauvez vos projets – livrant par la même occasion quelques clefs pour celles et ceux qui aiment créer… ou cuisiner.
La Pépinière : Sauvez vos projets (et peut-être le monde) grâce à la méthode itérative est un spectacle atypique. Comment le résumeriez-vous, en préambule et sans tout dévoiler ?
Antoine Defoort : Sauvez vos projets est un spectacle, mais peut-être surtout une conférence méthodologique. C’est également un prétexte pour présenter une petite collection de métaphores – qui sont l’une de mes grandes passions. Dans le même temps, c’est aussi un prétexte pour parler des idées, pour réfléchir à la façon dont elles émergent et dont nous vivons avec elles (puisque les métaphores sont des façons de donner forme à des idées). J’ai choisi de parler d’un moment extrêmement délicat dans la vie des idées : la transition entre leur état conceptuel et leur forme matérielle. Souvent, ce passage de l’informe à la forme (que l’on parle de l’écriture un texte, da la création d’un spectacle ou de la mise en œuvre d’un gratin dauphinois) se passe assez mal. Ce qu’on imaginait, ce dont on avait l’idée, ne correspond pas à ce que l’on parvient à mettre en forme. C’est ce moment de transition, qui est l’enjeu du processus artistique, que je voulais mettre en évidence dans le spectacle.
La Pépinière : Quand vous présentez ce spectacle, vous évoquez aussi la notion de « design ». Qu’entendez-vous par là ?
Antoine Defoort : Ce passage du conceptuel au formel est en jeu, plus largement, dans ce que j’appellerai le « processus de design ». Tel que je l’envisage, le design est la manière dont on va gérer la transition entre l’idée (l’envie, le projet initial)… et sa réalisation concrète. J’utilise le mot « design » dans une application plus large que celle que l’on fait en Francophonie : en anglais, « to design » signifie aussi (et peut-être surtout) « concevoir » – il y a donc l’idée de la conception. S’ajoute à cela une dimension d’application : on conçoit, mais on est aussi déjà dans l’application. Le design, c’est aussi dessiner les plans d’une idée… donc, être dans sa matérialisation. Donc, on est dans ce passage de l’état conceptuel d’une idée à son état matériel. C’est ce que je trouve passionnant !
La Pépinière : Votre titre, « (et peut-être le monde) » sous-entend aussi l’importance de ce processus de design dans nos existences.
Antoine Defoort : Ce passage de l’un à l’autre, de l’idée à la réalisation, est un processus auquel nous sommes, toutes et tous, confronté-es. Au quotidien, on passe de l’un à l’autre – que ce soit pour faire un gratin dauphinois ou pour rédiger un mail. Quand on écrit, on a une idée et on veut lui donner une forme (à travers le langage). C’est la même chose en cuisine : quand on prépare une tartine le matin, on l’imagine dans sa tête… et puis on la designe, on la réalise pour qu’elle remplisse ses fonctions de tartine – y compris la fonction esthétique.
La Pépinière : Et qu’en est-il de la méthodologie derrière ce processus – la « méthode itérative », que vous évoquez aussi dans votre titre ?
Antoine Defoort : La méthode itérative n’est pas une méthode révolutionnaire. C’est très ancien, c’est ancestral. C’est une façon d’approcher ce processus de design. Plutôt que d’essayer de réussir du premier coup, on fait des essais, on voit ce que ça donne… et ensuite, on recadre le tir. Mon idée, à travers ce spectacle, c’est de regarder comment fonctionne cette méthode en tant que processus méthodologique – comment est-ce qu’on expérimente pour passer d’une idée abstraite à une réalisation concrète. Pour moi, c’est très intéressant de l’appliquer à des objets artistiques, comme les spectacles. En tant qu’artiste, ce type d’approche m’a beaucoup aidé de débloquer des situations. C’est assez désinhibant et empouvoirant. Tout le monde peut appliquer cette méthode – que l’on souhaite écrire un roman ou se faire une tartine.
La Pépinière : Votre spectacle est également construit sur une série de métaphores, qui rendent compte de ce processus itératif de design. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Antoine Defoort : Les métaphores que j’envisage varient selon les sphères culturelles, linguistiques, historiques. Pour fonctionner, une métaphore prend sa saveur dans un contexte culturel particulier ; celles que je propose dans le spectacle fonctionnent ainsi sur des références partagées. Je ne les ai pas testées en les confrontant à d’autres cultures… elles seraient probablement toutes différentes ! Toutes les métaphores dont je parle expriment le passage d’une idée abstraite à la chose concrète. Elles racontent le processus itératif, la recherche qui permet ce passage. J’en propose plusieurs, dont certaines sont très courantes, même dans la vie quotidienne. Le spectacle évoque par exemple les métaphores « incontournables », comme la métaphore culinaire. Celle-ci, on l’emploie vraiment à toutes les sauces ! C’est d’ailleurs un gag qui figure dans le spectacle. (rires) Il y a aussi celle de la randonnée, qui pose la question de savoir ce qui est le plus important dans le type de processus que je décris. Le point de départ ? Le chemin ? L’arrivée ? Il y en a encore une que je trouve très utile, surtout en ce moment : c’est celle du surf, qui met en jeu la notion d’équilibre, mais aussi l’idée de « prendre la vague ». Elle implique qu’il faut s’adapter au contexte quand on designe une idée, qu’on peut se tromper mais qu’on remonte toujours sur la planche, que c’est fatiguant mais qu’il faut continuer, etc..
La Pépinière : Concernant la scénographie de Sauvez vos projets, comment la décririez-vous ?
Antoine Defoort : C’est probablement le spectacle le plus léger, techniquement, que j’ai réalisé jusqu’ici ! Je travaille avec une projection vidéo et un pouf. J’adore cette manière de faire, de poser en trente secondes le cadre. Il y a un peu de musique (une mini-chanson), mais tout est basé sur le discours. C’est une pièce qui s’adapte à tous les lieux, qu’on peut jouer dans de nombreux cadres.
La Pépinière : Pour finir, est-ce que ce spectacle fait écho à votre parcours personnel ? Comment s’y insère-t-il ?
Antoine Defoort : Il y a très longtemps, j’ai fait deux ans de mathématiques à l’université. Très vite, je me suis dirigé vers l’artistique et j’ai créé des spectacles. J’ai toujours gardé l’esprit matheux, un intérêt pour le raisonnement logique, pour la programmation informatique. C’est ce que j’ai voulu transmettre, en le liant à ma pratique artistique et à mon amour pour des formes plus littéraires, pour la poésie. Je voulais voir comment concilier cette part artistique avec une approche plus logique, plus méthodologique. C’est à partir de là que s’est construit Sauvez vos projets.
La Pépinière : Antoine, merci beaucoup pour cet entretien. Bonne préparation… et à très bientôt sur scène !
Propos recueillis par Magali Bossi
Infos pratiques :
Sauvez vos projets (et peut-être le monde) avec la méthode itérative, d’Antoine Defoort, du 5 au 8 novembre 2025 à la Maison Saint-Gervais.
Conception et jeu : Antoine Defoort
https://saintgervais.ch/spectacle/sauvez-vos-projets/
Photo : © Christophe Urbain
