Les réverbères : arts vivants

Sous la peau, au cœur de l’essence humaine

Au Poche, Tamara Fischer met en scène deux archéologues qui s’opposent en apparence par de nombreux aspects. La fouille de la terre et des ossements finit par les lier, avec en filigrane le poids de l’Histoire qui pèse sur nos conceptions. Sous la peau, un sublime texte de Valérie Poirier, à voir jusqu’au 12 novembre.

Valérie Poirier a ce talent de parvenir à dépeindre des personnages à la fois simples et profonds. En plaçant deux archéologues, l’une confirmée (Élisabeth – Monica Budde) et l’autre en devenir (Lucien – Adrien Zumthor), elle propose un choc des générations touchant, empli d’humour et de réflexion. Élisabeth, 60 ans, et Lucien, presque 28 printemps, sont missionné-es en Valais pour retrouver des ossements. L’étudiant est tout heureux de participer à sa première fouille, qui plus est avec une sommité en la matière. Et malgré tout ce qu’on lui a raconté sur elle – pas commode, « australopithèque », antipathique… – il reste ouvert d’esprit. Passionné d’oiseaux, vegan, et très sensible aux pensées féministes, il semble être en opposition totale avec cette vieille bourrue, du moins en apparence. La voilà qui déballe son saucisson de sanglier dès le premier pique-nique, se moque des gants trop chers achetés par Lucien sur les conseils de son professeur, fait des réflexions pas toujours politiquement correctes… pourtant, au fil du temps et des fouilles, ces deux êtres apprendront à se connaître, à s’apprivoiser l’un-e l’autre, finissant par lier une belle amitié, renforcée par les conditions difficiles qui s’abattent.

Une histoire humaine

On a pu le voir avec Une ville à soi, qui retraçait différentes histoires meyrinoises, ou dans Vie et mort de Petula, bilan post-mortem d’une personne somme toute bien ordinaire, Valérie Poirier dépeint l’humain, le vrai. Pas de grand-es héro-ïnes, de mythologies, de drames profonds, mais de situations simples, et des personnages dans lesquels on se reconnaît. Avec toujours cet optimisme latent, dans une actualité où les malheurs s’enchaînent. Sous la peau ne déroge pas à la règle. Le texte est d’abord empli d’humour, entre les réflexions d’Élisabeth et les réactions de Lucien – Adrien Zumthor excelle dans ce rôle particulièrement expressif. Le choc des générations, avec les idées parfois arrêtées de l’aînée et celles plus progressistes du jeune archéologue, crée un comique de situation tout à fait à-propos. On évoquera notamment ce moment où Du côté de chez Swann de Dave passe à la radio, et qu’Élisabeh est persuadée que le chanteur est mort. Elle se permet ainsi de dire tout ce qu’elle pense de lui, se faisant rapidement sermonner par Lucien.

Puis, petit à petit, sans vraiment s’en rendre compte, on rit de moins en moins. Car le texte de Valérie Poirier nous plonge dans un dialogue plus profond, tout en restant simple. Pas de grandes diatribes ou autres pamphlets. Simplement des réflexions actuelles qui se développent, de manière naturelle, dans la discussion. Il est question de féminisme, quand le squelette retrouvé est immédiatement nommé Dave, avant qu’on ne prenne conscience qu’il s’agit d’une femme – on apprécie d’ailleurs l’allusion à Lucy faite à ce moment-là. Comme quoi, les a priori ont la vie dure… La question environnementale est aussi abordée à travers les conditions météorologiques et les violents orages qui menacent. Sans oublier diverses interrogations sociales : la nécessité de terminer rapidement les fouilles pour que les travaux puissent reprendre et que les promoteurs n’y perdent pas trop ; la question de vouloir des enfants ou non ; la mort qui se rapproche ; la vie qu’on aimerait vivre… Et puis, il y a, subtilement, ces pertes de mémoires subies par Élisabeth. Lucien s’interroge, on le voit à ses réactions, mais jamais il n’osera poser la question, dans un respect du jardin secret de son aînée. C’est que, même si tout n’a pas débuté sous les meilleurs auspices, une véritable complicité finit par lier ces deux êtres.

Simplicité et sincérité

Les choix de mise en scène de Tamara Fischer se mettent véritablement au service du texte de Valérie Poirier. La scénographie est simple, et illustre bien le cadre dans lequel se déroule l’action : une tente surplombe les fosses où les deux archéologues effectuent leurs fouilles. À cour, une pile de caisses dans lesquelles seront disposés les résultats des excavations, une radio, ainsi qu’un thermos de café et les affaires des deux protagonistes. Nul besoin de plus, tout le reste passe par les mots. La musique joue également son rôle, avec la diffusion de certaines chansons qui viennent rythmer le propos et y apporter une autre profondeur. On a déjà évoqué Dave, on appréciera également le clin d’œil à la nouvelle directrice du Poche, avec Because the night de Patti Smith, chanteuse au cœur d’une de ses mises en scène la saison dernière à la Parfumerie. Avec cette mise en scène plein de sobriété, Tamara Fischer place les mots de Valérie Poirier au cœur du spectacle.

N’oublions pas non plus de mentionner les deux comédien-nes, au sommet de leur art. On apprécie le côté naïf du personnage de Lucien, qui arbore un sourire aux lèvres durant la majeure partie du spectacle, tout simplement heureux d’être là. Il tente de voir le positif dans tout, de s’émerveiller de son travail. Tout en évoluant vers plus de profondeur par la suite, notamment sur la question des enfants et de la vie. À l’opposé, Élisabeth semble d’abord plutôt aigrie, le contact n’est pas facile. Petit à petit, elle s’ouvre, dans une forme de relation qui en devient presque filiale. On sent qu’elle apprécie la sincérité du jeune homme, et le fait qu’il ne la juge pas par rapport à tout ce qu’on dit sur elle. Il est aussi à l’écoute, et elle commence à l’être petit à petit. Comme une transmission, non seulement des connaissances, mais aussi de l’attitude – comme des vases communicants. Le lien se fait alors non seulement entre les deux protagonistes, grâce à la sincérité de jeux des deux acteur/trices, mais aussi avec l’histoire de l’humanité, de manière plus générale. Le choix du contexte apporte cette dimension supplémentaire à la réflexion, faisant de ce dialogue pourtant intimiste quelque chose de plus universel. On s’y retrouve, on s’interroge, on rit, on s’émeut. Et c’est sans doute là-dedans qu’on retrouve toute l’essence du théâtre et, oserait-on dire, de l’humanité.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Sous la peau, de Valérie Poirier, du 30 octobre au 12 novembre 2025 au Poche.

Mise en scène : Tamara Fischer

Avec Monica Budde et Adrien Zumthor

https://lepoche.ch/spectacle/sous-la-peau

Photos : ©Isabelle Meister

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

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