Une ville à soi, pour vivre plus sereinement
Dans son projet déambulatoire intitulé Une ville à soi, le Collectif Sur Un Malentendu interroge la place des femmes dans l’espace public en 2025, en choisissant l’angle de l’anticipation. Un spectacle qui questionne et bouleverse les perspectives, à voir sur la place de la Diversité, jusqu’au 15 juin.
Sur la place de la Diversité, nous sommes accueilli·e·s par deux guides (ce soir-là, Emilie Blaser et Claire Deutsch, qui jouent en alternance avec également Pierre-Antoine Dubey), vêtues de leur plus beau costume violet. Nous sommes en 2075, et ce que nous voyons n’est autre qu’une reconstitution du lieu tel qu’il se présentait en 2025. Nous suivrons nos guides dans 4 postes, chacun étant un symbole fort de la place des femmes dans l’espace public en 2025. Tout commence donc sur la place, où nous entendons, dans nos casques, les témoignages de plusieurs femmes du quartier, de tous âges, qui racontent leur quotidien et comment elles se sentent ici. Nous descendons ensuite une rampe pour découvrir le banc violet que le service administratif a décidé d’enlever, enjoignant celles qui l’avaient posé là à se dénoncer. Un banc installé, donc, pour que les femmes qui se sentaient mal, tristes, seules, victimes de quelque agression puisse s’asseoir et recevoir du soutien. Au bas des marches nous découvrons ensuite le parcours quotidien d’une femme et sa charge mentale, symbolisée par ce trajet tout sauf linéaire sur lesdites marches. Enfin, on nous invite à nous asseoir, face au Jura, pour écouter cette parole de liberté, ces témoignages de femmes qui imaginent un espace public à elles, où elles se sentiraient en sécurité, en harmonie avec leur environnement.
Un spectacle sans démagogie
Disons-le d’emblée, et c’est un secret de polichinelle, les femmes ne se sentent pas en sécurité dans l’espace public. Bien sûr, pas toutes les femmes, pas à n’importe quel moment. N’empêche que le sentiment est global et partagé, et que cela ne va pas. Une fois cette première idée posée, on pourrait craindre un spectacle démago, où on ne ferait que réentendre un discours mille fois éculé, sans solution. Il n’en est rien ! Et c’est là qu’entre en jeu toute la finesse de l’écriture de Valérie Poirier. L’idée de partir de témoignages de femmes vivant dans le quartier ou le côtoyant au quotidien, pour leur travail, leurs loisirs, ou encore pour aller chercher leurs enfants à l’école ou la crèche, permet de se faire une première idée. Alors que le quartier des Vergers est encore tout récent, que tout semble aménagé pour le bien-vivre en harmonie, on se rend compte que la réalité est plus complexe. Les femmes se font encore trop souvent alpaguer, doivent encore trop souvent laisser l’espace aux hommes qui, par exemple, jouent au foot, ne sont toujours pas sereines en rentrant tard le soir, de peur d’être suivie ou abordée d’une façon inappropriée. Tout cela est un condensé des témoignages qu’on entend, qui sont en réalité bien plus complets et complexes que cela. Mais c’est l’impression qui en ressort, une impression qui dérange, évidemment.
On se dit alors que cela, on le sait déjà, mais que faire ? Éduquer ceux qui ont des comportements inappropriés, oui, mais cela prend du temps. Alors, en attendant que cela change – et on y croit ! – quelles solutions en attendant ? Le banc violet, peint avec les restes de peinture de la grève féministe du 14 juin 2023, est un élément de réponse. Et surtout un symbole. Sa couleur déjà, devenue emblème de cette grève, symbolise avant tout la dignité, l’espoir et la lutte pour l’égalité. Il représentait un refuge pour les femmes qui se sentaient mal. En s’asseyant dessus, elles validaient ce besoin d’être écoutées, sans avoir besoin de le dire. Quant à savoir pourquoi les autorités ont décidé de l’enlever et demandé aux « coupables » de se dénoncer… On apprécie d’entendre, à la suite de l’histoire de ce banc, un extrait du discours qui en revendique la présence. Un discours fortement engagé, qui rappelle qu’on a encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’atteindre une égalité.
Les invisibles du quotidien
Du chemin, elles en parcourent, ces femmes dont il est question dans Une ville à soi. Trop souvent invisibilisées dans la rue, alors qu’elles sont bien là, elles parcourent non seulement des kilomètres en vrai, pour aller au travail, faire les courses, déposer les enfants à l’école… mais mentalement aussi, le parcours est énorme. Car il faut penser à tout. La charge mentale qui pèse sur ces femmes/mères de famille/travailleuses/ajoutez-toute-mention-que-vous-jugerez-nécessaire est énorme. Et le symbole des marches, que Claire Deutsch monte et descend inlassablement avant d’enfin arriver en bas, est très fort. Une fois arrivée en bas – et donc à la maison – on pourrait croire que c’est fini. Que nenni, il y a encore tant à penser…
Le dernier tableau nous énonce enfin un dernier paradoxe : si on invisibilise les femmes dans l’espace public, nos regards sont pourtant constamment posés sur elles. Des regards souvent jugeant et qui créent le malaise. À travers une histoire de talons et de short, Claire Deutsch et Emilie Blaser extériorisent ce mal-être intérieur, en affirmant « mon corps, mon choix », sans pourtant pouvoir se sentir totalement libre. Et alors qu’on se dit que ce discours n’est pas nouveau, que les choses devraient avoir changé, au moins un peu, depuis plusieurs années et cette parole qui se libère, on prend conscience qu’il y a encore du chemin à parcourir. On ne saurait pourtant rendre l’hommage qu’il faut à ce spectacle par nos mots, tant la finesse de celui-ci dépasse – et de loin – celle de cet article. Mais on termine tout de même sur une note d’espoir, avec ces derniers témoignages et ces propositions, pour l’avenir, d’espaces où tout le monde se sentirait bien, en harmonie ; de lieux réservés pour pouvoir s’épanouir, crier, se détendre ; pour une vraie égalité, tout simplement.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Une ville à soi, de Valérie Poirier et du Collectif Sur Un Malentendu, du 4 au 15 juin 2025 à la place de la Diversité à Meyrin, dans le cadre de la saison culturelle de Meyrin.
Mise en scène : Valérie Poirier et le Collectif Sur Un Malentendu
Avec (en alternance) Emilie Blaser, Claire Deutsch et Pierre-Antoine Dubey
https://www.meyrinculture.ch/activites/une-ville-soi
Photos : ©Collectif Sur Un Malentendu