Tannhäuser, l’homme déchiré entre l’amour et la chair
Du 21 septembre au 4 octobre 2025, Tannhäuser, un incontournable des grandes maisons de l’art lyrique, est à l’affiche du Grand Théâtre dans une mise en scène minimaliste mais efficace.
C’est une belle entrée dans la saison 25/26 que fait le Grand Théâtre de Genève avec cette œuvre portant en elle à la fois le poids de la condition humaine et la nécessité (la joie ?) d’en souffrir.
L’amour m’inspire et fait vibrer ma voix
D’un tel bonheur qu’un mortel n’ose attendre L’ardent désir me brûlait de ses feux.
À toi les dieux seuls ont osé prétendre,
Et ton amour m’a fait l’égal des dieux !
Mais d’un mortel j’ai les faiblesses,
C’est trop d’amour, trop de caressas.
Si les dieux aiment constamment
Le coeur de l’homme est plus changeant Rempli de ce bonheur immense,
Mon coeur appelle la souffrance
De ton empire il faut partir,
Reine! déesse ! Ah! laisse-moi m’enfuir!
L’ancien Troubadour aspire aux aléas de la vie terrestre après des mois passés dans la grotte des délices habitée par Vénus.
Entre la chair et l’esprit, la Vierge et Vénus, la volupté et l’amour, Tannhäuser erre et souffre dans un aller-retour constellé de remords, de doutes, de regrets, balloté entre l’amour pur d’Élisabeth et les promesses de plaisir de Vénus, il vacille. Pourtant, l’amour inconditionnel d’Élisabeth le convainc de prendre le chemin de Rome avec d’autres pèlerins en quête du saint pardon. Mais il revient de ce long périple exsangue et désespéré, car il apprend de la bouche du Pape qu’il ne peut espérer aucun pardon. Dans le plus grand désespoir, il décide de s’abandonner à nouveau au bras de la sulfureuse déesse. Alors que son ami Wolfram tente de l’en éloigner, on voit un cortège funèbre descendre la montagne, portant le corps d’Élisabeth à la tombe. Sa demande, de mourir pour le pardon de Tannhäuser a ainsi été exaucée. Vénus disparaît instantanément, Tannhäuser s’effondre sur la civière d’Elisabeth et meurt.

L’Orchestre de la Suisse Romande rodé à la pâte wagnérienne est dirigé par un Mark Elder au sommet de son art. L’ouverture dans la retenue renonce à toute démonstration inutile, les violons se font subtils et caressants préparant délicatement le spectateur à cette antre de sensualité qu’est le Venusberg.
La mise en scène reprise au pied levé par Michael Talheimer, (dont nous avons vu le Tristan & Isolde en début de saison 2025) est à l’origine, celle de Tatjana Gürbaca. Cette production « bicéphale » explique sans doute quelques moments de flottement et surtout un décor, qui exploité en toute cohérence dans le premier acte, semble passer au rebut dans le deuxième et le troisième acte. Le Venusberg représenté par un long tunnel, une sorte de spirale occupant l’espace scénique semble aspirer et retenir Tannhaüser. Dans les bras d’une Vénus ardente, qui macule son torse de sang, en lui prodiguant des caresses appuyées, il aspire à revenir dans le monde des mortels «Rempli de ce bonheur immense, mon coeur appelle la souffrance » . La jouissance ne serait-elle pas suffisante dans la vie d’un homme ? Est-ce l’apologie de la vie terrestre avec son lot de souffrances, de doutes, mais aussi de bonheurs gagnés ? Tannhaüser quitte, non sans peine, la grotte de tous les plaisirs pour retrouver la joyeuse compagnie de ses amis chanteurs qui lui reprochent ses mois d’absence. Dès cet instant, nous ne verrons dans le deuxième et troisième acte que l’arrière de la structure. Tannhäuser tourne littéralement le dos au Venusberg.
Le sang comme symbole du péché et de luxure revient dans le deuxième acte. En équilibre précaire sur une pierre — position particulièrement inconfortable pour un chanteur, soi-dit en passant — le troubadour chante les louanges de Vénus et de la sensualité comme un somnambule repris par ses démons. S’en suivra une scène où Tannhäuser versera sur sa tête un seau rempli de sang, souillure ultime qui le condamnera à faire pénitence et rejoindre le groupe des pèlerins pour gagner Rome et le pardon du Pape.

Dans cette mise en scène où le décor se fait extrêmement discret, ce sont les protagonistes et le chœur de pèlerins qui occupent et remplissent l’espace. Le plateau est exceptionnel. Le chœur des pèlerins soigneusement dirigé par Mark Biggins déploie ferveur et unisson et offre des moments de grande intensité. La soprano Jennifer Davis (Elisabeth) est pleine d’une ferveur habitée, mais surtout déploie une ligne vocale époustouflante dans toute sa tessiture, la mezzo, Victoria Karkacheva (Vénus) n’a rien à lui envier, quant à Stéphane Degout (Wolfram von Eschenbach), c’est une performance de toute beauté qu’il nous offre, avec cette voix déliée au timbre magnifique et ce chant aux accents vrais et articulés. Un petit bémol malheureusement pour le rôle-titre interprété par Daniel Johanson, pourtant confirmé dans des rôles wagnériens. Le rôle connu pour être exigeant est d’une grande difficulté et semble avoir eu raison du chanteur, en particulier dans le premier acte, où on le sent par moments en difficulté. Sans doute « l’effet première ».
Tannhäuser, déchiré entre la mère et la prostituée, la volupté et la rédemption, l’amour pur et la sensualité, la chair et l’esprit, mène la quête la plus fondamentalement humaine où la rédemption par l’amour finit par l’emporter.
Katia Baltera
Infos pratiques :
Tannhäuser, de Richard Wagner, du 21 septembre au 4 octobre 2025 au Grand Théâtre de Genève.
Mise en scène : Michael Talheimer
Direction musicale : Mark Elder
Avec Daniel Johansson (Tannhäuser), Jennifer Davis (Elisabeth), Victoria Karkacheva (Vénus), Stéphane Degout (Wolfram von Eschenbach), Fran-Josef Selig (Herrmann, Landgraf von Thürringen)
https://www.gtg.ch/saison-25-26/tannhauser/
Photo : ©Carole Parodi
