Les réverbères : arts vivants

Guillaume Tell chez Mad Max

Présenté au Théâtre de l’Espérance du 19 au 22 septembre, Le Bal des Songes est une comédie musicale produite par l’Association Pasaporte, connue pour ses « Spectacles du Rêve » qui mêlent musique, danse, cirque et théâtre en cherchant à rendre la culture accessible à tous. L’histoire d’une quête artistique dans un univers onirique. Une belle surprise.

Hep, Taxi. Le public suit Pablo, musicien genevois parti à Los Angeles avec dix dollars, un ami imaginaire et une guitare, en quête de son rêve américain. D’abord esseulé et échoué, il y rencontre un groupe d’artistes aux talents complémentaires : une puissante chanteuse de soul, un génial pianiste, une intrépide circassienne et celle qui deviendra sa muse et catalysera la créativité de la petite troupe. Ensemble, ils s’unissent pour raviver leurs âmes et sauver un théâtre abandonné en montant une adaptation de Guillaume Tell, transposée dans un monde post-apocalyptique où le Léman est asséché et où la « baillie » Gessler règne sur l’or bleu.

La chose, racontée ainsi, peut paraître quelque peu saugrenue. Pourtant, brassant théâtre, poésie, opéra et bohème contemporaine, la dramaturgie est claire et linéaire, structurée en tableaux successifs : l’arrivée de Pablo en Amérique, ses errances et rencontres sur une plage de L.A, un concours de chant raté, puis l’opportunité de sauver le théâtre grâce à la force du collectif. Cette trame très classique, certes parfois un peu cousue de fil blanc, confère au spectacle une dimension pédagogique qui le rend particulièrement accessible à un public familial et scolaire.

Reprenons. La réussite de Bal des Songes repose d’abord sur la générosité de ses interprètes. À commencer par la polyvalence de Patjé, véritable homme-orchestre du projet, qui cumule avec brio les casquettes d’auteur, chanteur et comédien. Très à l’aise en scène, il dynamise la quasi-entièreté du spectacle qu’il porte à bout de bras. Autour de lui brillent Azania Noah, dont la voix soul impressionne, Sarah Gos, soprano lumineuse, Raoul Baumann, musicien virtuose, et Selina Szekelyi, qui émerveille avec ses numéros de tissus et de cerceaux aériens.

Le point le plus remarquable du spectacle est ainsi assurément les musiques et les chants originaux. Quel travail. C’est mélodique, entraînant, sensible et très compréhensible pour le public. Les performances vocales sont impressionnantes, parfaitement assumées et précises.

En parallèle, la troupe dégage donc une énergie communicative, renforcée par quelques scènes moins convenues, notamment quand la très méchante Gessler et son soldat-garde-du-corps maladroit offrent un jeu exagéré qui déclenche l’humour. L’univers visuel hybride de cette seconde partie est très bien trouvé dans son originalité : costumes et atmosphère empruntent à un imaginaire mécanique et poétique, un peu comme si notre Guillaume Tell vivait en 2150 mais avec des machines à vapeur et une esthétique du XIXe siècle. C’est à la fois rétro et futuriste, une sorte de science-fiction ancrée dans le passé industriel.

Autre détail marquant : la présence d’enfants sur scène : une petite fille énigmatique qui incarne l’amie imaginaire de Pablo et un jeune garçon, brillant en théâtre comme au chant. Cette dimension juvénile ajoute une fraîcheur touchante et accentue l’ambition groupale du projet.

La scénographie, épurée et modulable, met en valeur un travail de lumière très pro qui trouble à dessein les frontières entre réel et rêve. Le luminariste use et abuse des possibilités technologiques des projecteurs multicolores à têtes mobiles sur le grand tulle de fond de scène, et c’est très bien fait. Les costumes trouvés par Charlotte Lépine apportent une touche originale supplémentaire, avec des choix visuels qui décalent les personnages entre réalité, onirisme et esthétique steampunk. La bande-son originale, quant à elle, parfaitement synchronisée avec les actions et les chansons, illustre tout autant le professionnalisme apporté à chaque dimension de cette ambitieuse entreprise artistique.

Si l’on peut admettre que le rythme se délite un peu à cause d’une écriture dramaturgique qui manque de surprises, l’ensemble séduit donc quasiment de bout en bout par son souffle collectif et sa capacité à réunir musique live, danse, acrobaties et théâtre autour d’une histoire à la portée universelle, celle d’humains en quête d’inspiration, d’idéal et de sens. On en ressort le cœur plus léger, porté par l’énergie d’une troupe bigarrée et l’esprit généreux d’un spectacle qui nourrit nos imaginaires et éveillent de belles émotions.

Stéphane Michaud

Infos pratiques :

Le bal des songes, de Patjé, au Théâtre du Centre de l’Espérance, du 19 au 22 septembre 2025

Mise en scène : Alexis Bertin

Avec : Patjé, Azania Noah, Raoul Baumann, Sarah Gos, Selina Szekelyi, Léo Jauffret et Talia Jauffret

Photos: © Stéphane Gros

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, auteur heureux et metteur en scène chanceux, Stéphane aime prendre son temps grâce à la lecture, à l’écriture et au théâtre. Écrire pour la Pépinière prolonge le plaisir des spectacles.

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