Triomphe ou chute de l’Écosse ?
Avec Macbeths on air, la Cie à Plumes revisite la célèbre tragédie écossaise de Shakespeare, avec les codes de la radio et du podcast. Un spectacle complet, qui hommage au texte d’origine, tout en plaçant quelques inserts modernes tout à fait pertinents, à voir à l’Orangerie jusqu’au 27 juillet.
Depuis que Bastien et Céline Semenzato ont repris la direction du Théâtre de l’Orangerie, le duo propose chaque année à une troupe de revisiter un classique. Après la surprise Betty Bossi l’an dernier, c’est avec un podcast bien suisse décryptant l’actualité et les crimes que débute cette version inédite de Macbeth. On navigue ensuite entre différents médias, pour reconstruire toute l’histoire : news solennelles britanniques, radio pirate écossaise, podcast façon tuto bien-pensant québécois avec les trois sorcières, show visuel à l’américaine… Macbeths on air nous fait plonger dans une véritable enquête journalistique, où des « enregistrements exclusifs » surviennent, qui tiennent le public en haleine, à la façon d’un véritable thriller. Quant à l’histoire dont il est question, elle n’a pas changé : Macbeth, un général écossais ambitieux, conspire pour s’emparer du trône du Roi Duncan, inspiré par les prophéties de trois sorcières et les conseils de son épouse. Mais culpabilité et corruption sont au programme, et il faut composer avec l’héritier légitime en fuite et un peuple qui ne soutient pas forcément le nouveau souverain.
Une forme originale…
Trouver un nouvel angle pour traiter Macbeth n’était pas chose aisée. Pourtant, le texte de Liona Lutz remplit parfaitement cette mission, en proposant une approche totalement inédite, avec cette idée de podcast et d’enquête journalistique. Ce choix audacieux permet de suivre la trame de cette histoire, même si on ne la connaît pas avant d’entrer dans la salle. L’alternance entre les formats radiophoniques – et par conséquent les personnages – permet de de garder une certaine dynamique, pour ne jamais s’ennuyer. Ce qu’on aurait pu craindre si on s’était cantonné au podcast qui ouvre le spectacle. Avec ce procédé, on ne reste pas dans un pur récit factuel : les manières de raconter sont variées. On retrouve ainsi une part de narration, mais aussi une forme d’analyse, des interviews, des enregistrements exclusifs consistant à rejouer certaines scènes. On ne boude d’ailleurs pas notre plaisir en entendant quelques passages du texte de Shakespeare, dont la langue résonne toujours aussi magnifiquement en 2025.

L’utilisation des différents médias permet également de glisser quelques clins d’œil à leur manière de fonctionner aujourd’hui et à l’actualité : on apprécie par exemple la mention du #MeToo durant la rencontre avec Malcolm, l’héritier de Duncan. Durant la scène initiale, on évoquera également la petite pique lancée au fait qu’on s’en tiendra à parler de ce qu’on connaît et qui reste proche de nous. Il ne faudrait pas prendre parti pour un conflit qui se tient hors de l’Europe… à bon entendeur ! On soulignera encore les petits décalages humoristiques, notamment avec la forme de bienpensance et cette manière de lisser les propos, poussée par moments, dans le podcast initial ou dans les échanges entre les trois sorcières québécoises. Surtout, la variation des formats a l’avantage de pouvoir illustrer différents points de vue, qu’il s’agisse des soutiens à Macbeth ou à la perte de confiance du peuple à son égard, par exemple. On n’oubliera pas de parler de la dimension superficielle du show à l’américaine, alors que Macbeth vient réclamer de l’aide, avec cette totale méconnaissance des mœurs européennes. Tous ces clins d’œil font de Macbeths on air un spectacle complet, qui parvient magnifiquement à ne pas tomber dans la caricature ou une critique excessive qui décentrerait la pièce de son propos. Tout est bien intégré et s’inscrit dans la dynamique générale du spectacle.
…portée par une performance de haut vol
Mais Macbeths on air ne serait rien sans le talent de ses trois comédienne : Liona Lutz, Georgia Rushton et Mathilde Lyon excellent dans leurs rôles. Elles parviennent à alterner les différents accents – genevois, suisse-allemand, écossais, québécois, britannique, américain, et même sud-américain lors des dépêches en espagnol ! – sans tomber, là non plus, dans la caricature. Le tout est également réalisé avec une belle économie de moyens : outre le plateau de radio et la vitre qui se trouve derrière, peu de costumes sont utilisés pour incarner la multitude de personnages, si ce n’est quelques vestes et un ou deux accessoires. On apprécie particulièrement l’utilisation de l’espace derrière la vitre, notamment lors de l’intervention des manifestant·e·s anti-Macbeth.

Le décor est ainsi davantage utilisé pour situer l’action, avec notamment l’affichage des différents drapeaux nous permettant de savoir quelle radio on est en train d’écouter. La réussite de Macbeths on air tient donc avant tout à la qualité de son interprétation : les trois comédiennes varient les différentes registres à la perfection, entre moments plein d’énergie et d’autres plus calmes. On soulignera également leur grand talent lors des interprétations des scènes shakespeariennes, qui demeurent un must pour des acteur·ice·s, et surtout la possibilité de montrer toute leur palette dramatique et dramaturgique. Enfin, la grande complicité entre les comédiennes se ressent, et le plaisir qu’elles ont à jouer ce spectacle se communique au public. L’ovation finale et les applaudissement chaleureux et nourris sont plus que mérités.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Macbeths on air, de Liona Lutz et la Cie à Plumes, d’après Macbeth de Shakespeare, du 16 au 27 juillet 2025 au Théâtre de l’Orangerie
Mise en scène : Liona Lutz, assisté de Dylan Poletti
Avec Liona Lutz, Mathilde Lyon et Georgia Rushton
https://www.theatreorangerie.ch/events/macbeths_on_air
Photos : ©eden levi am

