Signé Betty : « un truc de bonne femme »
Au Théâtre de l’Orangerie, la Compagnie Des Plaisantes revisite un classique suisse connu de tou·te·s : Betty Bossi. Sur la scène, on assiste à la création d’un spectacle autour de cette figure si célèbre, en se demandant qui elle est, quels souvenirs elle nous évoque, sans oublier les questionnements plus actuels qui en découlent.
Tout commence avec celles qui se revendiquent les sosies de Betty Bossi : Wave Bonardi, blonde, en costume traditionnel et bottines rouges d’un côté ; Julia Portier, longue robe rouge et perruque noire de l’autre. C’est qu’on ne sait pas vraiment à quoi elle ressemble, Betty. Alors, on se l’imagine, on se questionne sur cette figure invisible de la femme suisse. Comme dans leur précédent spectacle, L’embarras du choix, elles enchaînent les saynètes, afin d’aborder les différentes thématiques que propose Signé Betty : les recettes inratables, l’importance du moment du repas, les Tupperware, la réception de ses invités… Le tout est agrémenté d’interactions avec Agathe Lecomte, dans le rôle de la metteuse en scène insistant sur le théâtre bettybossien. Signé Betty est donc un spectacle qui mêle théâtre et cuisine, faisant le pont entre les deux, pour revenir à l’essence de la cuisine de Betty Bossi : un moment qui rassemble.
Betty Bossi, une véritable icône
On doit se corriger tout de suite : Betty Bossi n’est pas une icône. C’est une « ikrrôônn », si on le prononce correctement, avec l’accent ! Car Betty Bossi est l’incarnation de la ménagère suisse-allemande typique, qui nous partage ses recette quasi-inratables dans ses livres reliés par des anneaux. Elle est connue de tout le monde en Suisse, et le spectacle imaginé par la Compagnie Des Plaisantes développe le mythe autour d’elle, dans toutes ses dimensions, déjà évoquées. À travers cette thématique, ce sont nos souvenirs d’enfance qui sont aussi explorés.
Le décor se compose de tables, de chaises, et de deux tapis disposés comme la croix helvétique. Les motifs ? Des carreaux rouge et blanc qui rappellent les nappes et serviettes qu’on a toutes et tous croisées une fois dans notre existence, sans doute chez une grand-mère. Dans Signé Betty, on retrouve d’ailleurs beaucoup de références très suisses : les livres bien sûr, avec leurs recettes mythiques comme le riz Casimir, mais aussi la musique de Stephan Eicher ou encore les Tupperware et la question de leur rangement : faut-il oui ou non séparer les bols et les couvercles ? Question existentielle s’il en est ! Tous ces éléments contribuent à la dimension comique du spectacle. On évoquera d’ailleurs l’hilarante scène avec Jérémie, cet enfant imaginaire qui interrompt les grâces avant de se voir faire la morale. Sans doute l’un des climax de Signé Betty !
Qui de la ménagère ?
Mais Signé Betty, c’est aussi un spectacle qui apporte certaines réflexions. Imaginée en 1956, Betty Bossi incarne l’image de la ménagère des années 50-60, celle qui « reçoit ses amis » et tient sa maison à la perfection, avec ses recettes emblématiques. Bien sûr, aujourd’hui, une telle image de la femme passe moins bien. Pour autant, Betty Bossi est encore bien présente dans tous les esprits, devenue une véritable marque, avec ses plats préparés qu’on retrouve à la Coop. Cette réflexion sur l’évolution de l’image de Betty Bossi jalonne tout le spectacle, sans non plus tomber dans une dimension moralisatrice – exception faite, peut-être, de la scène finale, où Agathe Lecomte incarne une nouvelle figure, toute en paradoxes, de Betty Bossi. Tout est amené avec humour, en se moquant des idées reçues et parfois encore bien ancrées dans les mentalités, à l’image de la cuisine comme « truc de bonne femme ». Signé Betty tend ainsi à montrer que les livres et la marque ne s’adressent plus à celle qu’on nommait la ménagère. Une discussion est d’ailleurs menée sur le terme, qui évolue en « maîtresse de maison », sans que cela ne soit forcément idéal d’ailleurs. Betty Bossi, c’est devenu une marque qui s’adresse à toutes et tous. L’objectif : proposer une cuisine facile, abordable, avec un nombre réduit d’ingrédients, mais qui soit tout de même de qualité.
Cette réflexion permet d’ailleurs de faire le pont avec le spectacle : avec les mêmes ingrédients et la même marche à suivre, chacun·e adapte la recette à sa sauce. Les interventions de la metteuse en scène fictive prennent alors tout leur sens, enjoignant les comédiennes à « proposer », à s’approprier le personnage qu’elles incarnent, à voir au-delà de la recette, dans tout ce qu’elle induit. Comme la cuisine, le théâtre est question d’interprétation, de réflexion, de touche personnelle. En ce sens, on peut dire que Betty Bossi a réussi son évolution.
Fabien Imhof
Références :
Signé Betty, de Wave Bonardi et Julia Portier, du 17 au 28 juillet 2024 au Théâtre de l’Orangerie.
Mise en scène : Compagnie des Plaisante
Avec Wave Bonardi, Julia Portier et Agathe Lecomte
https://www.theatreorangerie.ch/events/signe_betty
Photo : © Juliette Russbach
[1] La citation du titre est issue de l’une des scènes du spectacle.