Les réverbères : arts vivants

Un sur Sept

Happy collapse, ou quand l’écologie monte en chair. Auréliens dans une mise en scène de François Gremaud, c’était à voir jusqu’au 12 août à L’Orangerie.

Force est de constater que l’écologie est devenue, depuis bien des années, bien plus que l’affaire des adeptes de Hans Jonas (auteur allemand du Principe de Responsabilité (1979)), mais bel et bien celle de tous. Aujourd’hui, tout le monde est « écologiste » – seul le déplacement du curseur sépare les « Réalo » (un courant écologiste de surface) et les « Fundi » (un courant plus profond). Quoiqu’il en soit, l’écologie a pris un visage plus philosophique, complémentaire du scientifique face au constat que le monde va mal.

À L’Orangerie, devant un fond de scène constitué en bonne partie du matériel qui sert à faire fonctionner une scène de théâtre, s’ouvre un espace totalement vide, à l’exclusion d’une petite pièce de fonte isolée placée centre avant-scène. Le vide face au quotidien semble symboliser l’immensité de l’Univers qui enveloppe un socle si étroit qu’un seul être peut juste s’y tenir debout. Planète si petite qui porte l’homme en statue, élévation de sa responsabilité des choses.

Le texte est une conférence d’Aurélien Barrau (philosophe et scientifique), adapté par François Gremaud et que le comédien (Aurélien Patouillard) s’approprie avec toute la liberté qu’offre une scène, le monde du théâtre.

Seul, soliloqué, le personnage se présente en Monsieur-tout-le-monde en mode d’été, t-shirt et culotte courte, ravi du discours qu’il possède qui lui va comme un gant, et tout de même un peu angoissé par son contenu.

Débute alors les raisons de la colère. Une liste de l’état des choses bourrée de chiffres, de courbes exponentielles avec, en chiffre positif et pourcentage, la désolation du monde, et en chiffre négatif, le peu qu’il reste du vivant avant le fatal point zéro ; le tout mu par la certitude que nous ne retrouverons une situation normale dans notre civilisation thermo-industrielle qu’en l’abandonnant. Cette position est celle de l’auteur. Le discours présenté est ainsi parfaitement structuré par Aurélien Barrau, un tenant pur et dur de la décroissance.

À la comédie donc d’ouvrir les choses, d’étirer le discours sur l’entier de la scène et de nourrir le propos de toute la liberté qu’offre l’art dramatique. Certes, le comédien accompagne le discours avec des gestes plus précis qu’un habitant de la péninsule italienne. Il donne forme aux enfants à sauver, aux émigrés à sauver, au monde à sauver et place dans l’espace les responsables. Les causes, les conséquences des causes prennent un peu de reliefs. Il aurait été souhaitable, néanmoins, qu’elles prennent plus d’aspérités, avec des angles plus tranchants et des idées de mise en scène plus flamboyantes. L’écologie est une source inépuisable de sentiments variés, de passions tristes ou non. Ici, « C’est un peu court ! » aurait dit Cyrano, le vrai.

Il y a, dans le jeu d’Aurélien Patouillard, un peu du langage des gestes lisible par un non-initié, sur un ton souriant certes, mais avec un sourire d’enfant souligné par le costume de scène choisi ; il semble que l’on soit dans une cour de récréation. L’homme paraît jouer l’innocence face aux méchants qui ravagent tout sur leur passage. L’illustration scénique désire faire passer un texte philosophique et scientifique de manière plus vulgarisatrice que l’excellent vulgarisateur qu’est Aurélien Barrau. Cette mise en puissance carrée du propos manque, justement, de puissance.

Quoiqu’il en soit, ce spectacle, cette conférence à la fin de laquelle on ne peut pas poser de questions, permet à chaque spectateur de ce soir d’été de se reposer ses propres interrogations, de se resituer au besoin. Ce spectacle proposait la version des alarmistes révolutionnaires, tenant de la décroissance et de la fin du monde.

L’écologie navigue sur sept courants selon le philosophe Luc Ferry. À chacun de choisir son fleuve… pendant qu’il y en a encore.

Jacques Sallin

Infos pratiques :

Auréliens, d’après Aurélien Barrau, au Théâtre de l’Orangerie, du 10 au 12 août 2021.

Mise en scène :  François Gremaud

Avec Aurélien Patouillard

https://www.theatreorangerie.ch/event/24

Photos : © Nubia Siqueira

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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