Une Déclaration d’amour comme un pamphlet pour la paix
Un texte fort, déclamé avec les tripes, une scénographie éclatée et originale, et l’immense performance d’un jeune comédien talentueux : tels sont les ingrédients de Déclaration d’amour de Louis Hee à John Ah-Oui, une magnifique réussite à voir au POCHE/GVE.
Tout le propos du spectacle est résumé dans le titre de la pièce : nous assistons à la déclaration d’un homme à un autre, sous la forme d’un long monologue. Oui mais, on le sait, avec l’amour, rien n’est jamais aussi simple. Louis est, il le dit lui-même, bizarre. Pas moche, mais différent, étrange. John, lui, est beau, beau à en crever. Une de ces beautés si parfaites que les mots se perdent, ne laissant place qu’à des cris et autres onomatopées. Plusieurs questions se posent alors : John Ah-Oui existe-t-il vraiment ? Connaît-il ne serait-ce que l’existence de Louis Hee ? Les événements qu’évoque ce dernier se sont-ils vraiment passés entre les deux ? À travers cela, c’est toute la question du fantasme qui se dessine, en filigrane de la déclaration d’amour.
Une expérience immersive
L’amour, nous l’avons toutes et tous ressenti un jour ou l’autre, voulu l’exprimer sans savoir comment, avec toute la maladresse que cela induit souvent. Si le sentiment est universel et connu de la Terre entière, il est aussi vécu de manière totalement individuelle. C’est ce que nous rappelle l’étonnante scénographie imaginée par Lucie Gautrain et Sylvie Kleiber. En lisant le billet, me voilà d’abord étonné de lire « Placement libre ». En entrant dans la salle, j’en comprends bien vite la raison : dans tout l’espace, des blocs sont disposés comme autant de banc, d’une manière qui paraît assez aléatoire. L’espace de jeu se développera entre ces bancs, avec une forme de proximité et une adresse quasi-directe, à bout portant, au public. Nous sommes ainsi placé·e·s au plus près de l’intimité de cet étrange personnage qu’est Louis Hee. Et cela fonctionne magnifiquement, comme tous les choix de mise en scène opérés par la jeune Leila Vidal Sephiha !
L’organisation de l’espace s’allie au travail des lumières de Luis Henkes et à la création sonore de Samuel Boutros pour nous emmener de ce temps suspendu de la déclaration d’amour. Les lieux sont majoritairement plongés dans une espèce de pénombre, alors que les sources lumineuses varient : spots classiques accrochés au grill, tubes de néon sous les bancs, ou encore petite lampe d’appoint accrochée au mur. Comme si les lumières, plus ou moins fortes selon les moments, reflétaient l’état émotionnel du personnage. La musique, quant à elle, surgit par moments, surtout lors des climax du spectacle. Résonnant comme un battement de cœur ou rappelant une sirène d’alarme, elle correspond aux plus grands moments de détresse de Louis Hee. Comme si tout, dans ce lieu de la déclaration, suivait ses émotions, et nous avec. Ajoutons à cela son costume qui paraît d’abord hétéroclite : une veste de moto et les protections qui vont avec en-dessous, mais sur lesquelles sont incrustées des strass et autres paillettes. Comme pour montrer à la fois une forme de virilité vers laquelle tend Louis, en contraste avec cette vision parfois stéréotypée qu’on peut avoir sur son orientation sexuelle. Le short, large, de basket, surmonté d’une jupe semble évoquer la même idée. Mais au fur et à mesure que les couches s’enlèvent, on découvre enfin, gravé sur sa peau – rassurez-vous, il s’agit en réalité d’un t-shirt couleur chair – un mot, en lettres majuscules : SALOPE. On comprend alors les coups pris par Louis, la manière dont il est meurtri, dans sa chair comme dans son âme.
Pamphlet contre l’homophobie
Cette Déclaration d’amour de Louis Hee à John Ah-Oui s’inscrit comme le premier volet d’un triptyque intitulé La Paix dans le monde. Vaste projet s’il en est. Celui-ci répond à un constat très simple : la déclaration d’amour d’un homme à un autre choque encore aujourd’hui, alors que ce ne serait pas le cas entre un homme et une femme. Qui plus est quand cela se passe bien, comme cela semble être le cas ici. Le spectacle questionne ainsi l’homophobie, et à travers elle toutes les formes de discriminations subies par certaines minorités. La réflexion de Nicolas Barry répond donc à cette mouvance inquiétante, de montée des discriminations, par l’intermédiaire de l’extrême-droite. Cela, bien sûr, n’est pas dit ouvertement dans le spectacle.
D’ailleurs, certains des propos de Louis pourraient résonner comme un reproche, comme si John était trop beau pour être inquiété. Cette beauté semble le protéger de toute remarque homophobe, de toute insulte, comme celles subies par Louis. Il n’hésite d’ailleurs pas à les répéter au public, de manière très crue. Les mots résonnent alors comme autant de coups pris par cet homme, jugé pour ce qu’il est. À travers cette déclaration, il tend donc à autre chose : pouvoir vivre son histoire sans jugement. Avec la preuve qu’il apporte que cela ne concerne que lui et John, induite dans le nom même de celui à qui s’adresse cette déclaration : Ah Oui ! Comme un cri du cœur, un cri de jouissance, de plaisir, voire de libération. Le tout est porté par l’impressionnant Raphaël Archinard, dans une performance complexe et digne d’éloges. Toutes les émotions que fait naître l’amour y passent : espoir, détresse, déchirure, rire, tristesse… Alors, la question, bête mais nécessaire, se pose : pourquoi tant de gens continuent à juger et à tenter de mettre au ban de la société certains comportements qui n’influent en rien sur leur quotidien et ne font de mal à personne ? À méditer.
Fabien Imhof
Déclaration d’amour de Louis Hee à John Ah-Oui, de Nicolas Barry, du 28 au 31 octobre 2024 au POCHE/GVE.
Mise en scène : Leila Vidal Sephiha
Avec Raphaël Archinard
https://poche—gve.ch/spectacle/declaration
Photos : © Isabelle Meister