Un silence pour enterrer le poids du secret
Face aux vieilles histoires de famille, le silence est souvent la solution privilégiée. Mais quand la quête de justice reprend le dessus, celui-ci est rapidement brisé. Au risque de dévoiler de lourds secrets. Un silence, un film de Joachim Lafosse qui explore les relations tumultueuses de la famille face à un traumatisme tu.
Astrid (Emmanuelle Devos) a tu un secret concernant son époux François (Daniel Auteuil) pendant 25 ans. Cet état de fait, nous l’apprenons dès le début, alors qu’elle s’entretient au téléphone avec son frère Pierre (Damien Bonnard). Ce dernier a hésité tout ce temps à porter plainte, et maintenant que les enfants d’Astrid, Raphaël (Matthieu Galoux) et Caroline (Louise Chevillotte) comprennent certains événements, ils se mettent en quête de justice. De son côté, François, grand avocat, suit depuis plusieurs années une affaire d’enfants disparus. Si le secret devient public, tout pourrait bien être bouleversé. Quant à savoir ce qu’il cache depuis tout ce temps, il faudra bien toute la durée du film, ou presque, pour le comprendre…
Dans l’ombre du secret
L’esthétique d’Un silence est particulièrement sombre. De nombreuses scènes sont filmées dans la pénombre ou dans la nuit. Lorsque le jour se fait, c’est souvent sous la grisaille, ou avec de longs plans-séquence qui montrent les personnages sous des angles différents, rarement de face. En témoigne cette scène d’ouverture, où tout est filmé à travers le rétroviseur de la voiture. Par ce biais, Joachim Lafosse prend le temps de créer une atmosphère inquiétante. C’est sans doute l’un des principaux reproches que l’on peut d’ailleurs faire à Un silence : le temps pris est sans doute trop long, et l’on aimerait entrer un peu plus rapidement dans le vif du sujet. Ce qui nous amène à nous poser une question : et si le sujet principal du film n’était justement pas le secret tu par Astrid depuis tout ce temps ?
L’histoire narrée par Joachim Lafosse s’inspire de faits réels, sur fond de détournement de mineurs. Mais le centre du récit n’est ni le secret de François, ni l’affaire sur laquelle il travaille. Ce à quoi s’intéresse Un silence, et c’est sans doute là tout l’intérêt de ce film, c’est davantage les conséquences de tout cela sur la famille. À cet égard, le fait de ne jamais montrer Pierre à l’écran semble tout à fait pertinent : il est la victime du secret, qui ne se remet pas, et se retrouve totalement invisibilisé, alors que François se retrouve régulièrement devant les médias. Les enfants aussi sont souvent mis en avant. À commencer par Raphaël, en pleine crise d’adolescence, ce qui donne pas mal de fil à retordre à ses parents. C’est aussi à cause, ou grâce à certaines de ses actions rebelles que certains éléments de vérité commencent à sortir. Quelle idée a-t-il eu d’utiliser l’ordinateur de son père, alors que celui-ci le lui avait formellement interdit ? Comprendre tout ce qu’il s’est passé pourrait d’ailleurs l’aider à mieux traverser cette crise et avancer en sachant mieux qui il est. Quant à Caroline, elle est une jeune maman, et l’aînée de la fratrie. Lorsqu’on comprend de quoi il retourne, on se dit qu’elle est forcée d’agir. Enfin, les deux personnages principaux que sont Astrid et François nous interrogent beaucoup. Emmanuelle Devos semble un ton en-dessous. Peu d’émotions sont montrées de sa part, elle qui peine à prendre un parti et se retrouve prise entre plusieurs feux : continuer à protéger son mari, écouter son frère, tout en soutenant ses enfants… Pour autant, on peine un peu à croire à son personnage, un peu trop lisse et fade. François, lui, demeure très silencieux face à la situation. À l’exception de quelques éclats de colère envers Raphaël, il se tient en retrait, se sachant coupable, mais à quel point ? Il se concentre alors sur son travail, jusqu’à ce que la situation ne le permette plus…
Encore plus sombre qu’il n’y paraît
Quand l’histoire démarre enfin, avec le début de l’enquête, et les indices laissés sur le secret de François, on prend enfin conscience de la lourdeur du silence qui pèse au sein de cette famille. Il n’y a pas qu’une victime, et le mal est plus profond. On aurait alors apprécié un traitement plus étendu de tout cela. D’un coup, tout s’emballe et avance, et il devient difficile de démêler le vrai du faux. Si bien que l’équilibre du film s’en trouve mis à mal : un temps très long pour construire une atmosphère sombre, et à l’opposé une intrigue qui se développe d’un coup rapidement, sans nous laisser le temps de la digérer et d’en comprendre tous les tenants et aboutissants. Nous pouvons tout de même comprendre ce parti pris de Joachim Lafosse, qui nous empêche d’entrer trop profondément dans la psychologie de François, pour nous empêcher de ressentir trop d’empathie envers ce dernier. On regrette sans doute de ne pas en savoir plus, mais, encore une fois, cette partie-là n’est qu’un prétexte pour montrer les rapports au sein d’une famille qui pourrait être détruite.
Un silence, s’il ne convainc pas totalement sur certains aspects, notamment au niveau de son rythme et du traitement de certains personnages, a toutefois le mérite de prendre un autre parti, en montrant un point de vue différent de ce dont on a l’habitude. Ainsi, on s’intéresse aussi aux victimes collatérales, à savoir la famille, qui souffre aussi des erreurs et du passé douloureux d’un père. Le sujet aurait sans doute pu être traité encore plus en profondeur, mais tout le mérite de ce film est bien là, et l’ambiance crée par Joachim Lafosse y contribue grandement.
Fabien Imhof
Référence :
Un silence, réalisé par Joachim Lafosse, France, 2023.
Avec Emmanuelle Devos, Daniel Auteuil, Damien Bonnard, Matthieu Galoux, Louise Chevillotte, Jeanne Cherhal, Nicolas Buysse…
Photos : © Films du Losange