Vaudeville en folie à la Madeleine
La Cie Confiture fait sa rentrée genevoise, après une série de représentations à Vevey et à la Tour-de-Peilz. Avec Tout le plaisir est pour nous, on retrouve un vaudeville flamboyant signé Ray Cooney, le « Feydeau anglais ». Quiproquos, relations illégitimes et puritanisme (ne) font (pas) bon ménage dans ce spectacle à voir à la Salle centrale Madeleine jusqu’au 18 octobre.
Jean-Loup (Gaspard Boesch), éditeur de livres pour enfants à la recherche d’une nouvelle perle pour relancer ses affaires, et sa compagne Marie-Catherine (Pauline Klaus), sont en train de faire redécorer leur appartement parisien par le talentueux Alexandre (Darius Kehtari), que Monsieur déteste. Et pour cause, les travaux devraient être terminés depuis longtemps déjà… La liaison que l’artiste entretient avec Elena (Juliet Kennedy), la bonne, lui donne sans doute le goût de prolonger son expérience. Ce soir-là, Jean-Loup et Marie-Catherine doivent aller manger au restaurant. Alexandre et Elena pensent pouvoir profiter de l’appartement, mais c’est sans compter sur Cyrielle (Hélène Hudovernik), la meilleure amie de Marie-Catherine, qui souhaite investir les lieux avec Serge (Olivier Lambelet), son nouvel amant. C’est qu’elle en a assez qu’Arnaud (Antony Mettler), qui est aussi l’associé de Jean-Loup, la trompe à tour de bras. Arnaud ne sait d’ailleurs pas qu’elle sait pour ses aventures extra-conjugales, et demande le même service à Jean-Loup, pour son premier rendez-vous avec Mlle Boulet (Juliet Kennedy), la standardiste du 118 218 séduite le matin même. Comment s’organiser avec ces trois couples, quand on n’est pas au courant de tout, et qu’en plus Jean-Loup comprend mal certains indices ? Vous trouvez cela compliqué ? Attendez que Mlle Bouillon (Véronique Mattana), une vieille auteure puritaine à succès et à la recherche d’un nouvel éditeur pour son Waf-Waf et son Minou, après que son éditeur actuel ait viré dans le porno… Mais a-t-elle bien choisi son jour ?
Un vaudeville poussé à l’extrême
La scénographie figure l’intérieur de l’appartement parisien aux allures très modernes : dans le salon, au premier plan trône un sofa aux motifs peau-de-vache, entourés de murs aux couleurs criardes et de tableaux très voyants. On perçoit d’emblée l’une des sources du conflit entre Jean-Loup et Alexandre, le premier prônant la sobriété, tandis que le deuxième veut mettre de la couleur partout. Au second plan, derrière le mur et la porte en transparence, se trouve la chambre, avec ses draps aux motifs léopard cette fois-ci. Belle ingéniosité scénographique d’ailleurs, pour montrer au public ce qui s’y passe, tout en créant une barrière entre les deux espaces, pour que les personnages n’entendent rien d’une pièce à l’autre. Nous sommes dans un vaudeville, et on retrouve bien sûr beaucoup d’issues pour entrer et sortir de l’espace scénique. À jardin, une fenêtre donne sur l’extérieur, et juste à côté la porte du bureau de Jean-Loup. À cour, un couloir conduit à la porte d’entrée, tandis qu’une porte à doubles-battants mène au petit salon et au bar. Sans oublier la porte de la salle de bain, dans la chambre. Tout ceci est parfaitement exploité, dès le début de la pièce : les comédien-nes sont constamment en mouvement, passent d’une pièce à l’autre, ce qui plante d’emblée le décor. La première situation cocasse arrive d’ailleurs très rapidement, nous faisant comprendre rapidement que Tout le plaisir est pour nous sera une pièce très rythmée.

Le rythme est un des éléments-clé du spectacle : il semble ne faire que s’accélérer au fur et à mesure que l’intrigue avance. Il y a d’abord ces trois couples illégitimes qui ne doivent absolument pas se croiser, et même un quatrième présumé suite à une mécompréhension de Jean-Loup et Arnaud. De quoi, bien sûr, envenimer la situation, et créer un quiproquo supplémentaire dans un moment déjà complexe. On pourrait craindre que cela finisse par tourner en rond et s’essouffler, mais non. Des solutions semblent être trouvées pour que tout s’apaise… jusqu’à l’arrivée de Mlle Bouillon, qui va tout chambouler ! De nouveaux quiproquos s’imbriquent les uns dans les autres, les personnages se retrouvent contraints d’endosser de nouveaux rôles. Bref, tout le monde peine à s’y retrouver ! Il faut à la fois gérer la signature du contrat et les couples adultères, qui ne doivent pas savoir que leurs conjoint-es respectif/ves les trompent aussi, tout en devant régler les nouvelles incompréhensions. Cela peut sembler gros, mais le tout est plutôt bien construit, avec des codes poussés loin, mais qui fonctionnent parfaitement.
Plaisir du jeu
Tout le plaisir est pour nous ne révolutionne donc pas le genre, mais conviendra parfaitement aux amateur/trices de vaudevilles. Surtout, le spectacle est porté par une équipe dont la complicité et le plaisir d’être sur scène se ressentent et rejaillissent sur le public. Les traits sont un peu forcés, mais sans tomber dans un excès qui deviendrait grotesque. Gaspard Boesch fait du Gaspard Boesch, avec son personnage un peu perdu, et à côté de la plaque. Mention spéciale à son moment de flamenco et claquettes ! Pauline Klaus, qui incarne son épouse, excelle dans les pirouettes de rattrapage, alors qu’elle se retrouve bien malgré elle dans le rôle de maîtresse du jeu dans la seconde partie. Darius Kehtari incarne parfaitement un Alexandre « métrosexuel », à la sexualité ambiguë et qualifié, là aussi malgré lui, de « grosse dégolasse » par Elena, son amante. Évoquons encore Antony Mettler, dans ce rôle de coureur de jupons, (trop ?) sûr de lui, jusqu’à ce que la situation soit renversée par sa femme…

Cette femme, incarnée par Hélène Hudovernik, il faut d’ailleurs en parler. Elle apparaît très juste dans son rôle d’épouse en pleine reprise de pouvoir et d’affirmation de soi, qui jongle également à la perfection avec le nouveau rôle qui lui est assigné par la situation après l’arrivée de Mlle Bouillon. Juliet Kennedy est, quant à elle, la seule à incarner deux personnages distincts. Son accent russe exagéré – avec quelques drôles d’erreurs de français – lorsqu’elle est Elena provoque l’hilarité du public, tandis qu’elle incarne, en apparence du moins, ce qu’on pourrait qualifier grossièrement de « potiche » dans le rôle de Mlle Boulet. Mais ne vous y trompez pas, toutes deux sont plus affirmées qu’il n’y paraît et agissent comme détonateurs de certaines situations. Reste encore Olivier Lambelet, parfait dans son rôle d’amant épris et un peu benêt, qui débarque en ne comprenant absolument rien à la situation, lui qui veut seulement courtiser Cyrielle, mais n’a rien à voir avec les autres. Enfin, il nous faut souligner la brillante Véronique Mattana, la vieille auteure un peu perdue et plus passionnée par ses chiens que par les êtres humains. Elle s’avérera bien plus complexe qu’il ne le semblait, et cette gentille dame puritaine sait bien ce qu’elle veut… Il ne reste plus qu’à découvrir les intrigues construites par cette jolie bande de personnages hauts en couleurs !
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Tout le plaisir est pour nous, par la Cie Confiture, d’après le texte de Ray Cooney et John Chapman, du 14 au 18 octobre 2025 à la Salle centrale Madeleine.
Mise en scène : Steve Riccard
Avec Antony Mettler, Darius Kehtari, Gaspard Boesch, Hélène Hudovernik, Véronique Mattana, Olivier Lambelet, Juliet Kennedy et Pauline Klaus.
Photos : ©André Capel
