Les réverbères : arts vivants

We’re here : révoltes intimes et universelles

Pour la troisième saison consécutive, la Pépinière collabore avec la Maison Saint-Gervais et propose des reportages autour des créations de la saison. Dans ce dernier reportage de la saison, nous partons à la rencontre de l’énergique troupe de We’re here, une trilogie qui explore les champs de la lutte et de la communication.

Lorsque j’arrive dans la salle de répétition du 1er étage de Saint-Gervais, toute la troupe m’accueille chaleureusement. Je profite de la pause pour discuter avec Lola Giouse, initiatrice et metteuse en scène du projet. Elle m’explique que l’après-midi sera consacré à la répétition du troisième épisode, sous la forme d’un filage arrêté. Les dernières représentations ayant eu lieu en octobre dernier à Sion, tou·te·s ont beaucoup évolué depuis. La matinée a donc été consacrée à des discussions autour des questions de l’art et du militantisme, au cœur du propos de We’re here, avec cette prise de conscience que, tant les comédien·ne·s que leurs personnages ont eu le temps de mûrir la réflexion depuis l’an dernier. Tout le monde, sauf la metteuse en scène et Alexia Hebrard, qui l’assiste, sera sur scène pour ce dernier épisode. Il est donc nécessaire de trouver le ton juste et d’être le plus en accord possible avec la pensée de chacun·e.

Un bref rappel ?

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il nous faut revenir sur le projet We’re here. À travers un groupe d’amis, la Division de la joie – c’est le nom de la troupe – questionne ce qui nous unit ou nous sépare, dans ce qu’il y a de plus intime et d’universel. C’est dans les relations sensibles et les détails que le projet imaginé par Lola Giouse s’immisce. On avait adoré This is not a love song, joué dans les conditions particulières du Covid, où tout le public était masqué, sous la pluie de la terrasse de La Réplique, donnant au spectacle une dimension poétique supplémentaire. On y retrouvait un couple – Simon, dit Saumon, et Géraldine, dite Gégé – qui refusait de s’avouer ses sentiments, mais le faisait sans le dire finalement. Le deuxième épisode – encore un coup de cœur – explorait cette fois-ci les rapports amicaux au sein d’un groupe. Avec Lust for life, on plongeait au cœur de ces relations, où les non-dits, les façons d’être de chacun·e pèsent sur le moral, où l’on a envie de se soutenir aussi, sans toujours savoir comment. Saumon, Gégé, Fribourg et Chouchou nous y dévoilaient leur furieuse soif de vivre.

Et la suite ?

L’après-midi de filage débute donc par une discussion sur des éléments de construction du spectacle. La trilogie sera jouée dans son intégralité au Bois de la Bâtie et il faut donc prendre plusieurs décisions : fait-on des entractes ? va-t-on servir de la bière au public à ce moment-là ? comment va-t-on se placer dans ce nouvel espace de jeu ? verra-t-on bien le logo du groupe, même s’il fait encore jour ? comment remobiliser le public et assurer la transition entre les épisodes ? Autant de questions et bien d’autres qui nécessitent de prendre des décisions. L’équipe réfléchit alors à des solutions, notamment si on décide de ne pas faire d’entracte, autour de la transition entre les deux derniers épisodes. Comment faire pour créer un lien avec le public ? Il est question d’horizontalité et de chaleur à transmettre. Malgré tout, les vannes fusent, on rit, dans une ambiance de travail à la fois sérieuse et détendue. Le sas de décompression est bien là, indispensable, surtout qu’iels sont nombreux·ses !

Il faut ensuite passer à l’action. Place donc au filage arrêté : il s’agit de traverser tout le spectacle, en s’arrêtant pour reprendre certains éléments, réfléchir aux intentions, au ton, au placement, aux interactions… La troupe décide de tester une transition à laquelle iels ont réfléchi juste avant, et Lola Giouse de lancer les opérations en disant : « on essaie de retomber sur nos pattes. ». Comprenez qu’il faut revenir à l’épisode tout en créant cet échange avec le précédent. On discute alors, tout en testant des choses, sur qui va lancer telle réplique, comment, à quel moment. Durant cette première phase, on s’arrête régulièrement pour reprendre le texte, donner des indications de mise en scène, selon les observations de chacun·e. Lola insiste sur la volonté de faire monter l’énergie petit à petit, en pensant toujours aux réactions du public. Rien n’est encore fixé, mais on commence à trouver quelque chose. Tout en pensant au jeu et à l’énergie à transmettre aux spectateur·ice·s, il faut aussi réfléchir aux réglages techniques, notamment sur la lumière et le son, avec les instruments et les micros.

On entre ensuite dans le vif du sujet, avec le spectacle à proprement parler, et surtout l’épisode que la troupe a prévu de traverser durant l’après-midi. Tout le monde étant présent pour ce dernier épisode, il faut réfléchir au placements et au rôle des personnages inactifs à certains moments, tout en conservant cette espèce d’énergie commune qui fait l’une des grandes forces du spectacle. On réfléchit alors à des détails auxquels notre regard de spectateur·ice ne pense même pas en assistant aux représentations : comment garder une forme de spontanéité, dans la formulation des répliques, mais aussi dans le jeu de regards et dans les adresses. Il faut jongler entre les personnages et le public, tout en pensant au rythme. Lola insistera beaucoup là-dessus durant l’après-midi, sur le temps à laisser entre les répliques, pour que le public comprenne bien les intentions et certains détails. Ajoutons ici que la situation a changé par rapport aux dernières représentations, et les intentions de jeu avec elle. Il est donc important de ne pas rater le virage vers le dernier épisode, afin d’embarquer le public avec.

« Le théâtre, c’est quand on suspend des états en cours »

Cette phrase prononcée par Lola Giouse durant la répétition résume bien tout le travail du filage auquel j’ai pu assister. Le rythme, notamment les pauses, les temps d’attente, est particulièrement important pour que le public comprenne les intentions. C’est dans les détails de ces silences que beaucoup de choses se jouent, notamment au niveau des regards et des réactions des personnages. Il faut alors garder les nouvelles intentions de jeu en tête tout du long, pour adapter les intonations. Il ne s’agit pas de tout reprendre en détails, mais de garder une intention générale qui va se répercute dans toutes les répliques. Pour ce faire, il faut réactualiser le texte, en fonction des évolutions du monde, mais aussi de la personnalité de chacun·e, depuis les dernières représentations d’octobre. Lola Giouse verbalise ainsi beaucoup ce qui doit ressortir des personnages, dans leurs gestes et intonations, mais qu’ils ne diront pas ouvertement. À chacun·e de trouver une manière de prononcer, d’accompagner sa parole, pour que les intentions ressortent.

Durant toute la répétition, Alexia, qui assiste donc Lola, prend des notes sur son ordinateur, au sujet des changements de répliques, de ton, d’intonation, d’intention. Chacun·e pourra alors les reprendre à tête reposée, entre les répétitions. Tout un travail est aussi effectué autour de ce qui n’est pas dit, que les textes et les interactions sous-entendent. On doit penser aux réactions de celles et ceux qui ne parlent pas, pour que l’ensemble reste choral, tout en ayant en tête la personnalité de chaque personnage et son rapport aux autres.

Vient enfin le moment de la pause, à la fin de laquelle je profite pour m’éclipser. Même là, tout ne s’arrête pas : on reprend le texte en vue de la suite de la répétition, on réfléchit au planning. Certain·e·s s’étonnent d’ailleurs – avec humour – de cette pause particulièrement studieuse. D’autres organisent leurs agendas, la tournée, la suite des opérations… Il y a toujours quelque chose à penser, même en-dehors de ce qui doit se jouer sur scène.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

We’re here, une trilogie de la Division de la joie, du 12 au 15 juin 2024 au Bois de la Bâtie (spectacle hors les murs du Théâtre Saint-Gervais)

Mise en scène : Lola Giouse

Avec Mathilde Aubineau (en alternance), Géraldine Dupla, Simon Hildebrand, Mattéo Giouse, Cédric Leproust, Anka Luhmann (en alternance), Enéas Paredes (en alternance), Neyda Paredes (en alternance) et Martin Perret

https://saintgervais.ch/spectacle/true-faith

Photos : © Coucou studio-Annabelle Zermatten

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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