Et quand les mots ne suffisent plus, que reste-t-il ?
This is not a love song, mais ça y ressemble quand même beaucoup. Jusqu’au 13 octobre sur la terrasse du café La Réplique du Théâtre Saint-Gervais, Géraldine Dupla et Simon Hildebrand clament et déclament le texte de Lola Giouse. Une expérience hors du commun.
Face au public, ils sont deux. Dans le froid de l’automne genevois, ils accueillent les spectateurs et les pèlerines qu’on leur a prêtées pour l’occasion, avec une énergie folle. Le spectacle débute d’ailleurs dans la même veine. Sur un ton plutôt léger, ils semblent chercher leurs mots, pour raconter « un truc » au public. Sont-ils gênés ou nous jouent-ils le tour de ceux qui … ne savent pas trop comment s’y prendre ? On ne sait pas trop, mais on embarque avec eux et cette énergie communicative qu’ils transmettent. À la troisième personne, ils racontent les relations sexuelles de deux êtres, qu’on comprend bien vite être eux-mêmes – du moins les personnages qu’ils interprètent et qui portent les mêmes prénoms qu’eux. Puis, petit à petit, les propos deviennent plus profonds. Alors qu’elle est seule en scène, Géraldine déclare ses sentiments au public, avant de réitérer l’expérience avec Simon. On rêve toutes et tous d’entendre de si belles paroles un jour. Alors, devant la réaction pleine d’humour de Simon, Géraldine se vexe. Il prend dès lors conscience qu’il partage les mêmes sentiments, mais qu’il peine à les exprimer…
Une expérience hors du commun
L’une des grandes particularités de This is not a love song est d’être joué en extérieur. Il faut alors faire avec les aléas du contexte : un verre qui se brise dans un grand bruit, les cloches du temple voisin qui sonnent, le groupe de rock qui répète en-dessous… et les voisins qui réagissent aux cris ! Tous ces détails, inexistants dans une salle de théâtre, donnent une véritable impression de « direct » au spectacle, comme si les mots leur venaient dans l’instant, avec les réactions qui les accompagnent. On obtient ainsi une forme de sincérité rare, comme si le contrat de fiction était résilié. Et puis, il y a cet autre élément, si puissant, contre lequel on ne peut rien : la météo. Comme pour accompagner les mots de Géraldine et Simon, la pluie s’est intensifiée peu à peu, pour devenir battante au climax du spectacle. Serait-on tombé dans le cliché des comédies romantiques et le baiser final sous des trombes d’eau ? Rien de tout cela. Que de la sincérité dans ce moment. Une expérience hors du commun, on vous dit !
Une déclaration qui n’en est pas une
Dans sa note d’intention, Lola Giouse écrit : « Mais peut-être que This is not a love song est quand même une chanson d’amour, en vrai. Une déclaration. C’est une déclaration d’amour à Géraldine Dupla et Simon Hildebrand qui sont pour moi à la fois deux ami.es magnifiques et acteurs.trices que j’admire énormément. Je les aime, j’aime leur façon d’être face à la vie et au monde, leur honnêteté, leur courage, leurs doutes et leur générosité. » Tous les mots qu’elle emploie se retrouvent sous une forme ou une autre dans ce spectacle. L’honnêteté est synonyme de la sincérité déjà évoquée. Le courage, c’est celui de faire face à ses sentiments et d’oser les assumer, même dans une relation qui, a priori, ne s’y prête pas. Les doutes, ce sont ceux qui envahissent les deux personnages, ou les comédien.ne.s, on ne sait plus trop. La générosité, enfin, est là, dans l’énergie qu’ils ont, dans cette envie de transmettre au public.
Alors, ces deux acteurs.trices qui ne se connaissaient pas, devenus amants le temps du spectacle, seront dépassés par leurs émotions. Cette relation qui ne devait être que sexuelle prend d’autres proportions. Mais aucun n’arrive à lâcher les mots : pas d’ « amour », de « je t’aime », de « cœur », de « sentiments », tous ces termes qu’on trouve parfois un peu niais. Il y a certainement de cela. Il y a aussi, je pense, des sentiments tellement forts que les mots ne suffisent plus. Alors, les gestes et les cris les remplacent. Simon souhaiterait qu’ils soient plus « AAAAAAHHHH », alors qu’ils sont déjà « aaaAAAAaaaaHHH », mais Géraldine trouve ça « Wouw ! ». On rit face à une certaine absurdité de la situation. Et pourtant, on comprend ce qu’ils veulent exprimer. On se questionne alors sur le sens des mots, sur la façon d’exprimer ses sentiments avec son corps, avec sa voix. Parce qu’aimer, c’est aussi sortir tout son être, ce ne sont pas que des mots, mais avant tout des actes, un état.
Une première mise en scène plus que réussie
Je connaissais Lola Giouse l’actrice, celle qui dégage quelque chose de difficilement descriptible, entre force et sensibilité. On l’avait vue, seule en scène, dans Perdre son sac ou dans un rôle envoûtant dans Small G, une idylle d’été. Mardi soir, j’ai découvert Lola Giouse la dramaturge et metteuse en scène. Même hors de scène, elle vit le spectacle avec une intensité rare : il n’y a qu’à voir ses réactions et le large sourire (perceptible même à travers le masque) qui orne son visage tout au long du spectacle et à la fin, au moment des saluts. L’énergie dont je parlais au début, c’est elle aussi qui l’a transmise dans les mots qu’elle a donnés à Géraldine Dupla et Simon Hildebrand. Une énergie qu’ils sont parvenus à décupler, et qui n’est pas retombée avec la pluie. . Le résumé du spectacle se conclut ainsi : « Alors essayons, pour voir «si ça touche». » La réponse est claire : Ça touche, et plutôt deux fois qu’une ! Merci pour ce moment, qui fut mon premier gros coup de cœur de cette saison théâtrale.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
This is not a love song de Lola Giouse, du 6 au 13 octobre au Théâtre Saint-Gervais.
Mise en scène : Lola Giouse
Avec Géraldine Dupla et Simon Hildebrand
https://saintgervais.ch/spectacle/this-is-not-a-love-song-2
Photos : ©Magali Dougados (banner) ©Laura Morales (inner)