Les réverbères : arts vivants

Avoir le blues et donner le sourire

Papageno, l’oiseleur de La flûte enchantée, en a assez de vivre toujours la même histoire depuis plus de 200 ans. Sur la scène du Crève-cœur, dans la peau de Guillaume Paire, il exprime son mal-être. C’est Le blues du perroquet, à voir jusqu’au 15 décembre.

Dans cette « réduction de version réduite d’opéra[1] », Papageno est presque seul sur scène, accompagné de Florent Chevallier au violoncelle et d’Adrien Polycarpe au piano. Pendant un peu plus d’une heure, il va de confidence en confidence, exprimant ce qui le pèse et ses rêves. Son ambition : vivre la vie d’autres personnages, de Don Giovanni au comte Almaviva, en passant par Leporello. Il faut dire qu’ils sont tous ses demi-frères, puisque tous enfants de Mozart. De là à devenir l’un d’eux… Mais par-dessus tout, il ambitionne de sortir du carcan de l’opéra. En grand fan de Starmania, il veut chanter Le blues du businessman sur la scène. L’allusion dans le titre du spectacle devient tout de suite plus claire…

Rendre l’opéra plus accessible

Vous l’aurez compris, Le blues du perroquet est un spectacle unique. À mi-chemin entre one-man-show et opéra, le spectacle de Guillaume Paire apporte un vent de fraîcheur bienvenu. Si le titre peut paraître déprimant, il n’en est rien. On ressort de la salle avec le sourire aux lèvres, émus aussi de ce moment. On a souvent l’impression que l’opéra est un objet poussiéreux, peu accessible à une oreille non aguerrie, avec ses codes qu’il faut respecter. Guillaume Paire prouve ici le contraire, en donnant une image plus moderne, agrémentée d’effets comiques et de digressions qui l’ancrent dans un type de spectacle plus contemporain. Une autre manière de découvrir et d’appréhender cet art, en somme.

Il emmène ainsi son public dans des extraits de plusieurs pièces, de La flûte enchantée à Don Giovanni, en passant par le Dichterliebe de Schumann ou Don Profundo de Rossini. L’éventail est large et l’approche toujours différente. Analysant certaines paroles de façon décalée ou incarnant un personnage qui a « pété un plomb » et décide d’interpréter son personnage en passant par tous les accents possibles – italien, allemand, anglais, français, russe, et même genevois ! – il provoque l’hilarité du public qui ne se retient plus. Au milieu de cela, n’oublions pas de saluer la performance vocale du baryton, sans laquelle ce spectacle n’aurait pas la même dimension. Parce qu’il s’agit aussi de nous faire aimer l’opéra… Mention spéciale d’ailleurs à son interprétation de la fable « Le Corbeau et le renard », dans la version musicale d’Isabelle Aboulker, et du « Monologue d’Alceste » dans Le Misanthrope.

Un spectacle qui donne le sourire

C’est la première pensée qui m’est venue à l’esprit : ce spectacle donne le sourire. Non seulement il fait rire par la finesse de son humour, mais aussi par celle de son interprétation. On ne sait plus trop si on écoute Guillaume Paire, le véritable Papageno ou les deux, tant il incarne parfaitement son personnage. Et l’important est sans doute ailleurs. Par le biais comique, il propose une réflexion sur l’être humain, sur l’opéra en général, mais aussi sur la vision qu’on peut en avoir selon l’époque. Les comportements et les mœurs sont ainsi questionnés, voire moqués, comme le côté séducteur de Don Giovanni, avec quelques petites allusions à l’actualité – que je ne dévoilerai pas ici – ou encore la fermeture d’esprit de certains. À l’image de ses deux musiciens qui refusent de jouer autre chose que de l’opéra, et surtout pas un morceau issu du répertoire populaire.

Si ces questionnements sont abordés, il faut souligner, qu’à aucun moment Guillaume Paire ne tombe dans la condescendance ou la dénonciation gratuite. Tout est délicat, l’humour est taillé au ciseau pour toujours tomber juste. Il est aussi capable de nous toucher, avec une brillante interprétation de La quête de Jacques Brel, qui ne manque pas de tirer quelques larmes, avant que Papageno ne revienne réaliser l’un de ses rêves sur la scène…

S’il fallait donc résumer Le blues du perroquet en quelques mots, je dirais simplement que c’est un spectacle bon pour la tête, à ne manquer sous aucun prétexte. C’est inattendu, surprenant, mais qu’est-ce que ça fait du bien !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Le blues du perroquet, de Guillaume Paire, du 19 novembre au 15 décembre au Théâtre le Crève-cœur.

Mise en scène : Guillaume Paire

Avec Guillaume Paire (jeu et chant), Florent Chevallier (violoncelle) et Adrien Polycarpe (piano)

https://lecrevecoeur.ch/spectacle/le-blues-du-perroquet/

Photos : © Loris von Siebenthal

[1] Ainsi qu’il la nomme lui-même en début de spectacle.

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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