Les réverbères : arts vivants

Du point de vue de Sirius

Fire of Emotions: Palm Park Ruins ou le retour en avant, de Pamina de Coulon. À voir  au Grütli – Centre de production et de diffusion des Arts vivants,  jusqu’au 1er février.

Du réchauffement du monde et de ses effets, il est de mille manières de le raconter. Dans ce spectacle, pas de cortège de Dionysos avec ses excès, pas de rouspétance de rue au mégaphone, pas de revendication autour d’une tasse de thé. Pamina de Coulon propose une juste considération des choses en relativisant depuis l’étoile la plus proche de la terre, après le soleil.

Cosmos, décadence et sagesse, une trilogie qui se couple avec largesse, recul et bienveillance, tels sont les mots et adjectifs qui sont au service du monologue de Pamina de Coulon. Un regard qui se développe à partir de la version moderne du potager des anciens : un jardin « urbi et orbi », planté de quelques salades, radis, senteurs vertes et petits fruits ; des plantes qui accompagnent le citadin agricole dans sa volonté de rattachement à la terre. Car c’est bien de cela dont il est question : la Terre. Pas de son avenir – la cosmogonie est déjà écrite – mais bien du nôtre, en conjuguant l’action et l’inaction des humains, double cause antagoniste de notre aventure.

Le point de vue de Pamina de Coulon, loin de l’écueil du « mieux avant et du pire ailleurs », s’affiche précis, argumenté et foisonnant, un triptyque parfait pour captiver son auditoire, qui sait qu’il n’y a pas de solution miracle autour du tragique de notre situation de terrien. Alors, assise devant une tente, lieu de vie provisoire s’il en est un, entourée par le grandes et longues coulées de tissu vert, après une respiration et les yeux grands ouverts, la comédienne débute l’essentiel de sa réflexion : « Il y a tant de choses à se dire à soi-même. » Une position plutôt intelligente.

Le rythme est rapide et ne baissera pas d’une octave. Les thèmes suivent sa longue table des matières inspirée de mille livres, citations et témoignages. On pensera à Rousseau et son discours sur la propriété à l’origine de l’inégalité, à Voltaire et son poème sur le désastre de Lisbonne, à cela s’ajoutent tous les auteurs contemporains que la comédienne cite en ayant la courtoisie de laisser la nomenclature à notre disposition, car il est impossible de noter quoi que ce soit.

D’ailleurs, ce n’est pas d’un cours dont il s’agit, mais du récit d’une promeneuse solitaire qui parle du temps à haute ou basse intensité, des tournesols en fin d’été, des « grandes machines » dévoreuses d’agriculteurs et d’être comme tous – bêtes et hommes – à l’affut d’une bonne journée. Une très belle maîtrise du texte.

Pamina de Coulon évoque la terre encore une fois, mais cette fois-ci en tant que substance et le difficile équilibre à trouver quant à son ingestion. Comme tout pharmakon, tout est dans la proportion. Car la pire toxine à faible mesure peut nous sauver tandis que la meilleure des douceurs peut nous tuer, si l’on passe de la dose passion à la dose poison.

Puis il est question de la terre nourricière, terreau de nos plantations M-Garden et des déceptions qui l’accompagnent. Car la Terre est d’abord source de labeurs, de sueur, parfois de sang et si les conditions sont bonnes, et si les limaces ne s’en mêlent pas, de possibles récompenses. La comédienne remet rapidement les pieds au sol et dans la boue, à tous ceux qui penseraient, rêveurs, qu’une paire de bottes et de gants permettent de retrouver ses racines. Toujours un juste et clair regard, qui place parfois les choses dans le comique. Des respirations bienvenues et appréciées qui offrent au public quelques oasis, ce qui lui permet de retrouver son attention.

On le voit, Pamina de Coulon est loin des rêveries dans sa promenade réflexive. Nulle complaisance, aucun bavardage, un regard qui lui est propre et qu’elle partage sans repos dans un flux vif et dense de parole. Sauf quand sa nature reprend du pouvoir et force la comédienne à suspendre son discours, le temps d’une rasade d’eau. Incident de scène ? Effet de mise en scène ? Quoi qu’il en soit, l’incident sert bien ce spectacle et un de ses propos : agir avec le monde avec capillarité. Ce phénomène d’interaction physique entre deux univers non miscibles dont l’un des deux sera toujours le plus fort.

Dans ce spectacle, les propos, les citations, les réflexions dites en douceur, forment une longue bande de tissu ou chacun peut prendre sa part sans se sentir coupable. On ne peut qu’encourager ceux qui n’ont pas encore entendu Pamina de Coulon, d’aller chercher la leur.

Jacques Sallin

Infos pratiques :

Fire of Emotions: Palm Park Ruins de Pamela de Coulon, du 22 au 24 janvier et du 29 janvier au 1er février.

Mise en scène et jeu : Pamela de Coulon

https://grutli.ch/spectacle/fire-of-emotions-palm-park-ruins/

Photos : © Rebekka Deubner

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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