Les réverbères : arts vivants

Jouons et dansons ! Minouchette et danse baroque, pour une soirée de carnaval

Jusqu’au 20 octobre prochain, le Théâtre de Carouge vous emmène à Venise, pour assister à  Une des dernières soirées de carnaval, dans une mise en scène signée Clément Hervieu-Léger.

Une ambiance scénique composée de tons sombres, d’un décor épuré, une atmosphère qui n’est pas sans rappeler les teintes obscures des peintures de l’époque baroque. Sur le devant de la scène, une chaise surmontée d’un candélabre. Nous nous trouvons chez le maître tisserand Monsieur Zamaria, veuf qui vit avec sa fille, Domenica. Le plateau tient lieu de salon, tantôt de salle à manger, puis de salle de bal, les quinze comédiens sont vêtus de costumes d’époque, le contexte est posé.

Le maître de céans annonce à ses employés qu’il veut faire la fête ce soir et que son désir est d’y inclure autant ses collaborateurs que ses invités. Par-là, Goldoni nous ramène dans le contexte politique de la Venise des années 1760, à savoir que le carnaval est un rituel civique, qui a pour but de fédérer les citoyens, contribuer au renforcement de la cohésion sociale et également de propulser le dynamisme vénitien. Ces cérémonies fastueuses étaient rassembleurs et ont œuvré en faveur de la paix de la capitale de la Vénétie.

Une des dernières soirées de carnaval est une pièce qui a été écrite en guise d’adieu. Carlo Goldoni alors âgé de 55 ans, décide de partir pour Paris, sa rivalité qui l’oppose au Comte Gozzi l’a usé. Goldoni est l’initiateur de la comédie italienne de caractère où les excès du burlesque ne sont plus de mise. Son style évolue ; il veut faire tomber les masques de la commedia dell’arte en montrant des caractères, des personnages réels, avec leurs passions complexes et contradictoires. Pour ce faire, il remplace le canevas et les masques par un texte et des rôles bien définis et plus riches.

1er acte : Domenica s’entretient avec son père, toute en préparant les festivités. Il lui dresse la liste des convives, puis vient la mention du nom d’Anzoletto, le bien-aimé de cette femme au teint vénitien.

Les premiers invités qui entrent chez les Zamaria sont la filleule du tisserand, Elenetta  fraichement mariée, accompagnée d’Agustin son époux. Dès le départ, l’auteur nous permet de comprendre quel type de relation ces jeunes époux ont entre eux et quel caractère les définit l’un et l’autre. Il le fera à travers l’interaction avec d’autres convives, notamment avec Monsieur Bastian et son épouse, puis avec Momolo mais aussi par le biais de quelques disputes de couples. Le type de personnalité de chaque protagoniste est bien défini. La femme qui prend le rôle de confidente, le clown joueur qui provoque chaque femme, et qui est le prétendant de madame Polonia, le mari faible qui accède à tous les caprices de sa femme hypocondriaque, le couple volage, le père modèle qui se consacre uniquement à l’éducation de sa fille et à son métier mais qui finit finalement par se mettre en ménage. Mais aussi, le jeune tisserand qui ne pense qu’à s’amuser et qui néglige son travail. Sans oublier la brodeuse d’un âge certain, éperdument amoureuse du jeune Anzoletto, beau et brillant dessinateur, et qui en désespoir de cause fait des avances et conquiert le maître tisserand, Zamaria, lui-même de la même génération que l’artisane.

Des intermèdes musicaux rythment la pièce ; violoncelle, guitare accompagnent l’artiste lyrique, le tenor : Cosmo enchante nos sens en langue italienne.

Anzoletto est engagé à Moscou et doit l’annoncer à Domenica et aux invités, il tarde à le faire. On le confronte, la nouvelle tombe et Domenica est effarée. S’ensuit une partie de jeu de cartes, la minouchette, à nouveau, on imagine une toile de maître, vivante comme jamais, le rythme s’accélère, la mise en scène devient plus dynamique. Les comédiens s’assoient, se lèvent, s’interpellent, plaisantent, changent de place, une scène en constante mouvance.

Le troisième volet de cette allégorie du théâtre, au sens théâtral du terme, la dernière pièce de Goldoni à Venise met en scène le carnaval… on l’attendait impatiemment. Les quinze comédiens dansent en rond, en groupe, puis face à face, sur de la musique populaire.

L’humour fait partie intégrante de ce texte, écrit au début du XVIIIe siècle, qui néanmoins reste très actuel. Il s’agit là d’un humour fin sans fioriture, comme le démontre l’Acte II, scène 7, un dialogue entre Domenica et Madame Gatteau, sur les thèmes de la pudeur, la vertu et le vieillissement des femmes. Le rire, les réparties, les boutades des uns vis à vis des autres sont de mise dans cette comédie, davantage qu’une démonstration de sentiments amoureux. Si ce n’est l’amour qu’Anzoletto témoigne à Domenica mais qui n’a rien d’un amour passionnel. Cette comédie est présentée sur une tonalité sobre, pas de couleurs vives, pas de froufrous aucun excès, si ce n’est l’accent mis sur la description des caractéristiques de chaque personnage.

Le contexte festif du carnaval aurait pu être davantage retranscrit dans la mise en scène, ce sont surtout Cosmo et Zamaria qui démontrent cette envie de s’amuser, par leur enthousiasme,  leur joie et leur engouement.  Un parti pris de Clément Hervieu-Léger, le metteur en scène ? Et n’aurions-nous pas souhaité davantage de faste pour représenter cette période de carnaval? Par ailleurs, la pièce se déroule dans un univers de tisserands mais bien peu de soieries ou de tissus sont présents dans cette mise en scène.

Malgré les questionnements intérieurs de chacun tout est bien qui finit bien… le bonheur au dernier acte envahit la scène, une vraie comédie.

Valérie Drechsler

Infos pratiques :

Une des dernières soirées de Carnaval, de Carlo Goldoni, du 27 septembre au 20 octobre 2019, au Théâtre de Carouge

Mise en scène : Clément Hervieu-Léger

Avec : Aymeline Alix, Erwin Aros, Louis Berthélémy, Clémence Boué, Jean-Noël Brouté, Adeline Chagneau, Marie Druc, Charlotte Dumartheray, M’hamed El Menjra, Stéphane Facco, Juliette Léger, Jeremy Lewin, Clémence Prioux, Guillaume Ravoire, Daniel San Pedro.

Photos : © Wilfrid Connell

Valérie Drechsler

Le cœur et l’esprit de Valérie vibrent au rythme des découvertes de créations artistiques ; théâtre, danse, musique, cinéma, beaux-arts. Née dans le monde culturel, elle a étudié les arts, y travaille et cultive cette richesse qui sans cesse appelle à être renouvelée.

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