Le banc : cinéma

À la recherche de « l’homme de la Solution finale »

En 1960, après une traque rocambolesque, Adolf Eichmann était enfin arrêté puis jugé. Opération finale raconte comment des agents du Mossad sont parvenus à retrouver puis exfiltrer l’un des plus grands criminels de guerre, parti se cacher en Argentine.

« Solution finale » : c’est ainsi que les nazis ont choisi de désigner ce qui reste à ce jour l’un des plus grands génocides de l’histoire. Responsable de la logistique de cette tragédie, Adolf Eichmann est parvenu à s’échapper avant le procès de Nuremberg, pour se cacher en Argentine sous l’identité de Ricardo Klement, contremaître dans une usine de Mercedes-Benz. En 1960, il est arrêté par des agents du Mossad, puis exfiltré vers Israël où il sera finalement jugé avant d’être pendu. Opération finale raconte toutes les étapes de cette traque digne des meilleurs scénarios hollywoodiens. On y suit d’abord l’enquête visant à s’assurer qu’il s’agit bien d’Adolf Eichmann (Ben Kingsley) – le film débute sur une précédente erreur qui a coûté la vie à un homme d’ailleurs pas totalement innocent – avant de découvrir l’organisation de l’équipe et du plan visant à arrêter le dangereux criminel. S’ensuivra la traque et surtout la longue attente avant l’exfiltration, partie centrale du film, jusqu’au procès final, suivi par les télévisions du monde entier.

Une histoire romancée ?

Au vu de tous les rebondissements présents dans le film, on se demande inévitablement à quel point Opération finale est fidèle aux événements. Mais après quelques recherches, on se rend bien vite compte que Chris Weltz et son scénariste Matthew Orton n’ont pas eu besoin d’en rajouter tellement pour que le suspense soit présent. On retrouve ainsi l’histoire de Peter Malkin (Oscar Isaac), l’agent chargé d’enlever Eichmann, et les liens avec son passé : sa sœur Fruma exécutée par les nazis alors que lui-même avait réussi à fuir vers la Palestine. Ici, les circonstances de la mort sont sans aucun doute romancées, avec un face-à-face entre Fruma et Eichmann qui exacerbe le contentieux personnel de Peter avec le criminel. Cette scène a toutefois le mérite d’illustrer la tension entre la volonté de vengeance des Juifs lorsqu’ils se retrouvent face à Eichmann et la nécessité de rester raisonnable pour qu’il puisse être jugé en Israël. Zvi Aharoni, un agent l’ayant pris en filature avant l’arrestation déclare d’ailleurs, alors qu’il est assis derrière lui dans le bus : « La tentation de me pencher en avant et de l’étrangler était pratiquement irrésistible […] mais je savais qu’il devait être jugé et non assassiné pour ceux qu’il a tués.[1] »

Au niveau des ressorts scénaristiques qui font d’Opération finale un véritable film hollywoodien, on notera tout de même l’histoire d’amour entre Peter et sa collègue Hanna Elian (Mélanie Laurent), un personnage inspiré de Yonah Elian, le médecin de l’équipe. La création de cette relation compliquée entre les deux protagonistes aide à exacerber la tension du scénario, dès lors qu’on comprend qu’ils ont un certain passif… Enfin, pour être presque exhaustif, on citera le jeu sur les temporalités, notamment lors du décollage de l’avion qui emmène Eichmann en Israël, alors que la police est à deux doigts d’intervenir pour l’en empêcher, avec un énorme dilemme auquel Peter doit faire face…

L’horreur banalisée

Au-delà du scénario et de l’histoire qui est racontée dans Opération finale, c’est surtout le portrait d’Eichmann, en miroir de celui de Malkin, qui est particulièrement bien amené. Ben Kingsley campe un personnage froid, calculateur et manipulateur, qui semble ne ressentir aucune émotion, exception faite des moments passés avec sa famille. La montée en tension est amenée de manière graduelle, notamment dans la relation avec l’agent du Mossad qui parviendra à lui faire signer ses aveux. Eichmann, comprenant bien que le procès est la pire issue pour lui, fera tout pour provoquer Peter – après avoir construit un semblant de complicité avec lui – afin que ce dernier l’assassine… Mourir rapidement est sans doute une meilleure solution qu’un procès qu’il juge par avance inéquitable. Spoiler alert : Peter sera à deux doigts de tomber dans le panneau. On relève ici la terrible opposition entre le peuple juif, représenté par Peter, avec tout son bagage émotionnel et la souffrance contenue en lui depuis des années, et l’antipathie d’Eichmann, « un Allemand tuant un Juif six millions de fois », comme l’a décrit l’auteur et survivant de la Shoah Elie Wiesel. Avec Eichmann, l’horreur la plus absolue semble tout à fait banale. Il répétera d’ailleurs à plusieurs reprises, dans le film qu’il a simplement fait ce qu’il devait faire, obéissant aux ordres et tentant de se dédouaner pour ses actes, sans en assumer l’entière responsabilité.

Opération finale s’avère dont être un très bon thriller, plutôt fidèle à la réalité, et qui rend compte, pour celles et ceux qui, comme moi, ne l’ont pas vécu en direct, de l’un des événements les plus marquants de l’histoire de l’après-Guerre, avec cette arrestation et ce procès qui a amené un semblant de paix à des millions d’âmes…

Fabien Imhof

Référence :

Opération Finale, réalisé par Chris Weltz, avec Oscar Isaac, Ben Kingsley, Mélanie Laurent, Lior Raz, Nick Kroll, Michael Aronov…, États-Unis, 2018

Photos : © DR

[1] Extrait d’une interview accordée par Zvi Aharoni à l’AFP, citée dans un article de geo.fr : https://www.geo.fr/histoire/le-11-mai-1960-israel-capturait-adolf-eichmann-lhomme-de-la-solution-finale-200627

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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