Les réverbères : arts vivants

Apprendre à prendre le temps avec Les ChronoClowns

Le saviez-vous ? La fabrique du temps est gérée par des clowns ! C’est en tout cas la vision que proposent la Beyond Compagnie et l’Ivraie Semblable dans leur dernier spectacle, Les Chronoclowns, à voir à l’Étincelle jusqu’au 6 novembre, avant une tournée romande à Aigle et Sion.

Dans les rouages de la fabrique du temps, nous retrouvons quatre clowns facétieux et leur chef, Monsieur Pfouille, un clown grave et triste, aigri sans doute par trop d’années de travail. Ensemble, ils trient le temps, l’organisent et le gèrent, en faisant en sorte qu’il continue de s’écouler sans accroc. Peu importe l’ordre des années, tant que tout roule ! Seulement voilà, enfermés dans leur atelier, ils se demandent logiquement ce qu’il peut bien y avoir à l’extérieur. Et leur patron a beau leur répéter qu’il leur faut travailler, travailler et encore travailler… la question continue de les tarauder !

Clown des enfants et clown des adultes

En imaginant des clowns sur scène, on pense à un spectacle pour les plus jeunes. Il n’en est rien ! Les Chronoclowns s’adressent bien aux adultes. Pour autant que ceux-ci aient gardé une âme d’enfant… Dans l’atelier représenté sur la scène, on retrouve ainsi les rouages du temps, des briques représentant chaque année, des établis et des outils. Au sein de ce lieu dédié à la gestion du temps, les codes de ces drôles d’individus qui nous ont fait rire dans nos jeunes années sont bien présents, à commencer par l’immanquable nez rouge sur le visage blanc ! Avec leurs voix rigolotes et des bruitages qu’on croirait tout droit sortis d’un cartoon, on est rapidement dans l’ambiance. Mais ils ne seraient pas complets sans leurs bêtises. Leur passe-temps favori ? Rendre fou le pauvre Monsieur Pfouille, en l’empêchant de dormir, en cachant des briques de temps ou en essayant de voler ses outils par exemple… Attention tout de même à ne pas le mettre en colère, ou ils pourraient bien le regretter. C’est d’ailleurs souvent le même qui en fait les frais et finit par valdinguer loin dans le décor, sous les rires hilares de ses compères ! Ce spectacle serait simplement comique s’il s’arrêtait là, mais il va plus loin.

Les comédiens et comédiennes ont travaillé d’arrache-pied durant deux ans pour monter ce spectacle et travailler autour du clown, un art bien plus compliqué qu’il n’y paraît. De cette manière, ils parviennent à donner une dimension plus adulte à leurs personnages, qui ne se contentent pas de raconter des bêtises, mais réfléchissent aussi sur leur rôle dans cette machinerie, avec des considérations parfois philosophiques. En commençant par le décor : les rouages de la machine du temps ne sont pas sans rappeler les célèbres Temps modernes de Charlie Chaplin, un sacré clown lui aussi à ses heures… On retrouve d’ailleurs du Chaplin dans les interactions entre les personnages, avec des mimes et autres grands gestes, suivis de rires partagés, la parole en plus. Et celle-ci a une importance toute particulière, puisqu’il y est question… de temps !

Questionner notre rapport au temps

Dans la fabrique du temps, les ChronoClowns gèrent le temps, mais ne le prennent pas : il faut travailler toute la journée. Interdiction de manger, de jouer avec Charles la guitare, de danser… Et pourtant, ils en rêvent tous ! Mais Monsieur Pfouille veille au grain pour que le labeur soit accompli. Et cela le fatigue beaucoup… Les deux aspects, avec toutes les subtilités de chaque clown, s’apparentent à une jolie métaphore de notre société. À l’heure du « tout, tout de suite », on ne prend plus vraiment le temps pour nous. Cela peut paraître être un discours vu et revu, c’est pourtant la réflexion qu’inspire ce spectacle. À la différence qu’il nous est apporté grâce à l’innocence et la joie de vivre des clowns qui, eux-mêmes, n’ont plus le droit d’avoir le temps. S’opposent donc l’équipe des travailleurs, qui doivent absolument fournir toujours plus et n’ont le temps de rien, ne s’arrêtant même jamais pour contempler la beauté de ce qu’ils accomplissent, et le pauvre Monsieur Pfouille. Lui aussi en a marre de toujours les rabrouer : il n’a même plus le temps de dormir pour récupérer. Comme si les rouages du système les avaient tous entraînés, pour ne plus pouvoir s’arrêter…

Et s’ils essayaient de changer leurs habitudes et de laisser le temps au temps ? De profiter un peu de ce matériau si précieux, dont ils sont bien placés pour connaître la valeur ? Et même si Monsieur Pfouille les pousse à travailler et avancer coûte que coûte, même s’ils ne parviennent pas à tout finir, ils doivent aussi apprendre à se laisser des moments pour eux. Et n’en deviendront sans doute que plus efficaces… Et si nous, public, travailleurs, travailleuses, nous nous inspirions un peu d’eux ? Les ChronoClowns nous enjoignent ainsi à s’échapper hors du temps et de prendre conscience de la juste valeur du temps.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Les Chronoclowns, de l’Ivraie Semblable et la Beyond Compagnie, du 3 au 6 novembre 2021 à l’Étincelle à Genève, du 11 au 14 novembre 2021 au Théâtre Wahouw à Aigle, et du 18 au 21 novembre 2021 au Teatro Omico à Sion.

Équipe créative : Mathieu Fernandez-Villacanas, Diane Jacquier, Daniel Jeanloz, Tara Macris, Julie Meyer, Clément Reber et Claire Wenger

https://www.waouw.ch/#47

Photo : © Clément Reber

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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