Apprendre enfin à Vivre
Et si le fait d’apprendre qu’on est condamné par la maladie changeait tout ? C’est le propos de Vivre (Living), un bien joli film réalisé par Oliver Hermanus, en guise de remake de celui d’Akira Kurosawa. Une découverte qui nous enjoint à vivre, tout simplement.
Londres, 1953. L’Angleterre est encore sous le choc de la fin de la Guerre et est alors en pleine reconstruction. Williams (Bill Nighy), fonctionnaire chevronné, a tout de l’employé modèle : toujours à l’heure, il gère ses équipes d’une main de maître, fait le travail comme attendu, ne lâche jamais rien. Mais voilà qu’un jour on lui diagnostique une maladie qui ne lui laisse plus beaucoup de temps à vivre. Williams n’en parle à personne, sauf à la jeune Margaret (Aimee Lou Woods), avec qui il collabore depuis peu et qui deviendra son amie et confidente la plus proche. Williams commence enfin à vivre, pour revenir aux vraies valeurs essentielles et, pourquoi pas, changer certaines destinées.
« Il n’y a pas d’âge pour réapprendre à vivre. » (F. Sagan)
Vivre nous plonge dans une époque qui peut paraître lointaine. Pourtant, tout cela ne date que d’il y a 70 ans, et nous ne sommes pas à l’abri que l’histoire se répète, au vu de l’actualité. Bref, tout est fait pour nous immerger dans le Londres des années 50 : costumes, décor, mais surtout le grain de l’image choisi par le réalisateur. C’est comme s’il voulait créer de la distance avec les images ultra nettes d’aujourd’hui. On imagine aussi que les couleurs ternes et l’ambiance morne qui ressortent de ce traitement de l’image est à l’image de la vie de Williams… jusqu’au diagnostic.
Lorsque Williams comprend qu’il ne lui reste plus beaucoup de temps, quelque chose semble se passer en lui. Son comportement n’est plus le même : il n’arrive plus à l’heure au travail et n’y vient même souvent plus du tout. Il profite de la vie, enchaînant les restaurants, cinémas et autres balades où bon lui semble. Une attitude qui inquiète sa famille et ses collègues, qui ne sont au courant de rien. Cela coïncide également avec le moment où un lien fort se crée avec Margaret. Coup de cœur amical ou amoureux, le doute demeure. Quoiqu’il en soit, ce vent de jeunesse et de fraîcheur qui arrive dans sa vie lui fait le plus grand bien. Contrairement aux autres, Margaret ne le juge pas, l’écoute, et partage ces moments avec lui, profitant de l’instant présent. Sans pour autant le laisser faire n’importe quoi. Ainsi, l’esprit du film n’est pas sans nous rappeler le Conte de Noël de Dickens, où le vieux Scrooge déteste tout ce qui entoure Noël, jusqu’au jours où un fantôme vient le visiter et change sa vision du monde…
Que restera-t-il de moi quand je ne serai plus là ?
Telle est la question que pourrait se poser Williams. La dernière partie du film, qui fait d’ailleurs sans doute l’originalité de celui-ci, nous éclaire sur ce point. Car tout ne s’arrête pas à la mort de Williams, comme on aurait pu le penser, tant toute l’histoire est centrée autour de lui. Lorsque notre héros décède, dans le froid, sur sa balançoire, dans un moment où il atteint sans doute le climax de son bonheur, la focale change complètement. Les points de vue de son entourage nous sont alors présentés, que ce soit celui de ses collègues, de son fils ou de Margaret. On y voit tout le changement de perception et l’évolution de Williams. On apprend comment il s’est battu pour la construction d’une place de jeu. Lui qui était très conservateur a compris, grâce à sa maladie, que l’avenir de l’Angleterre ne résidait pas parmi les anciens, mais dans la jeunesse. La reconstruction après la Guerre passe inévitablement par-là. Et on ne peut s’empêcher de penser que l’influence de Margaret est passée par-là, bien que rien ne soit dit ouvertement. Ce qui fait d’ailleurs toute la subtilité et la douceur de Vivre. Cet homme un peu aigri, totalement intransigeant, qui nous était présenté au début du film, a laissé sa place à une personne très humaine, tournée vers les autres, et qui s’est illuminée en commençant, tout simplement, à vivre.
On pense alors à la chanson de Joe Dassin, Ça va pas changer le monde. Bien sûr, les actions de Williams ne révolutionneront pas le système. Mais quand on voit l’impact qu’elles ont sur son entourage, sur son quartier, on se dit que c’est peut-être là, la plus belle trace qu’il a laissée. Finalement, l’histoire ne se termine pas si mal, malgré la mort de cet être qu’on a appris à aimer. Vivre, un film au titre simple, mais qui résume parfaitement son propos. Une bien jolie découverte.
Fabien Imhof
Référence :
Vivre, réalisé par Oliver Hermanus, d’après l’œuvre d’Akira Kurisawa, Grande-Bretagne, 2022.
Avec Bill Nighy, Aimee Lou Woods, Alex Sharp…
Photos : ©DR