Atacama : trouver un endroit à soi
À la Parfumerie, un spectacle touchant et multidimensionnel a pris place depuis le 22 octobre. Entre musique, théâtre, narration et un peu de danse, Atacama s’inspire de mémoires familiales pour ouvrir sur l’histoire universelle et de grandes thématiques.
Tout commence donc en musique. Les quatre musiciens (Yves Cerf, Raimundo Santander, Sylvain Fournier, Mael Godinat) nous accueillent, alors que se dessine à l’écran, en lettres majuscules, le titre du spectacle : ATACAMA. Les triangles symbolisant les A deviennent vite des montagnes, pour nous emmener dans celles du Chili, où débute notre histoire. Michele Millner et son enfant Meret Mohr nous conduiront dans les méandres de leur histoire familiale, pour étendre le récit sur celles de ce lieu unique et de l’exil. Situé entre le Chili et le Pérou, le désert d’Atacama est l’un des endroits les plus arides du monde. Entre le XIXe et le XXe siècle, les exploitations minières se sont développées : cuivre, fer, or, argent, mais aussi nitrate, crucial pour l’industrie chimique occidentale. C’est ainsi que le grand-père de Michele a débarqué au Chili, en tant que comptable. Il y a rencontré celle qui deviendra son épouse. Ensemble, ils ont eu celui qu’on surnomme Pop, le père de Michele et grand-père de Meret, dont les mémoires constituent le terreau fertile de ce beau spectacle. Lorsque les usines ont fermé, alors que le nitrate pouvait désormais être synthétisé en laboratoire, le père de Pop s’est battu aux côtés des ouvriers pour défendre leurs droits. Malgré tout, la famille a dû s’exiler vers l’Australie, où Pop a fini par écrire ses mémoires, dans les dernières années de sa vie. Jusqu’ici, il vivait au jour le jour, jusqu’à une prise de conscience et cette volonté de partager les histoires de son enfance, le départ de la famille vers l’Australie, son lien fort avec le désert d’Atacama. Un lien d’ailleurs conservé par Michele et Meret, qui le narrent à leur tour sur la scène de la Parfumerie.
Une histoire intime…
L’histoire de famille qui est narrée sous nos yeux évoque le lien fort entre une mère et son enfant, tout en proposant un fort bel hommage au père et grand-père de nos deux narrateur·ice·s. Au-delà du fond, la forme s’avère très poétique : au centre de la scène se trouve un bidon, dans lequel Michele et Meret versent rapidement du sable, pour symboliser ce désert. Petit à petit, on y ajoutera une maison, puis des arbres, pour symboliser le foyer de la famille. Malgré l’exil, c’est ce foyer qui constituera le ciment du lien entre les membres de cette famille. La musique et les chansons, en espagnol, accompagnent la narration. Elles racontent elles aussi beaucoup de choses, avec une dimension plus symbolique, portée sur les traditions transmises par la grand-mère et le peuple autochtone. En fond de scène, on aperçoit des projections, d’abord de dessins et d’écriture, puis de photos du désert d’Atacama, grâce aux talents de Sol Diaz et Ricardo Willig. Ces projections se dévoilent également sur les supports, créés pour l’occasion, que Michele et Meret déplacent régulièrement, pour rendre la narration fluide et dynamique. Grâce à tout cela, iels créent une forme de poésie en mouvement, en variant les manières de narrer.
Les moments de narration, à l’aide de micro, alternent avec ceux de jeu, notamment lorsque Meret interprète Pop, tandis que Michele reprend son propre rôle. Se basant sur les mémoires de Pop, au moment où il décide de les écrire, elles retracent la fougue de sa jeunesse, son arrivée en Australie avec cette volonté de vivre au jour le jour, jusqu’à la fin de sa vie, avec son rêve de revoir une dernière fois Atacama. Ses souvenirs d’enfant, notamment lorsque le vent soufflait et que la chaleur devenait enfin supportable, ou les visites à vélo dans certains lieux inaccessibles en voiture. On y découvre les paysages, l’histoire difficile de celles et ceux qui ont vécu là-bas, mais sous un angle joyeux, celui d’un enfant, qui nous dit que ses souvenirs sont aussi intacts que si les événements avaient eu lieu la veille.
… et universelle
Après l’Australie, Michele a fini par s’installer en Suisse. Meret vit depuis sept ans au Chili. Ensemble, iels sont retourné·e·s à María Elena, où se trouvait la plus grande usine au XXe siècle. Il est impossible de retranscrire ici ce qu’elles en racontent, tant les mots sont choisis avec précision. Il serait impossible de rendre parfaitement hommage à ce si joli texte. On vous dira simplement qu’il y est question d’exil, de déracinement et de la perte d’un foyer. On entend la fin de l’exploitation minière et ses conséquences sur les populations locales. À plus grande échelle, ce sont tous les désastres de la colonisation qui nous font face dans Atacama, avec tous les effets que cela entraîne encore aujourd’hui. La douceur des souvenirs de Pop laisse alors place au cri du cœur de Meret, qui hurle toute sa rage sur la scène. Iel ne peut accepter le ton heureux employé par son grand-père, alors que la situation des gens de la région et désastreuse. Les conséquences de la pollution entraînée par l’exploitation des mines sont terribles, et le taux de maladies dans la région est le plus élevé du Chili. On ne pense alors pas qu’à cette région, mais à toutes les autres qui sont touchées dans le monde.
Pourtant, le message principal qu’on retient d’Atacama est ailleurs. Loin des désastres de la colonisation, c’est plutôt l’espoir qui nous marque. Celui symbolisé par le foyer. Même lorsqu’il semble perdu, comme celui de Pop, il n’en est rien. Un foyer, plus qu’un lieu, c’est là où les souvenirs et le cœur demeurent. Atacama, c’est une invitation à trouver un endroit à soi, qu’il soit physique ou spirituel : un endroit où l’on se sent bien, où l’on peut évoluer et vivre sereinement. Comme le chantait Elvis : Home is where the heart is.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Atacama, par le Théâtre Spirale, du 22 octobre au 10 novembre 2024 à la Parfumerie.
Mise en scène : Michele Millner
Avec Michele Millner et Meret Mohr, et les musiciens Yves Cerf, Raimundo Santander, Sylvain Fournier, Mael Godinat.
https://www.laparfumerie.ch/evenement/atacama-theatre-spirale/
Photos : ©Théâtre Spirale, Ricardo Willig