Autre part, autrement
Un proche ou votre ado vous échappe ? S’il revendique la découverte du beau, du V.R.A.I, c’est qu’il a peut-être été séduit par un voyage en réalité virtuelle. Osez-vous aussi franchir le pas vers VR_I de Gilles Jobin du 28 mars au 14 avril 2019 à la Comédie de Genève ?
En 2015, Gilles Jobin est lauréat du Grand Prix suisse de danse. Distingué pour le nouvel élan qu’il confère à la danse contemporaine, le chorégraphe poursuit ses projets – dotés d’une authentique griffe – jusqu’à VR_I; un titre plutôt énigmatique qui peut se lire de deux manières : « Virtual Reality I », comme une première étape dans une nouvelle création mêlant théâtre et danse au sein d’un espace virtuel, ou « VRAI », avec l’omission voulue du [A] qui rappelle au spectateur que sans lui, la pièce ne peut exister et qu’il est, par conséquent, le début, le A d’une réalité demeurant inopérante sans sa présence.
L’escapade (car il s’agit bien de partir ailleurs, munis de lunettes, de capteurs et d’un sac à dos avec ordinateur) désarçonne durant ses vingt minutes. Ici, point de joueurs solitaires comme pourraient le suggérer les cris alarmistes poussés trop souvent autour des jeux vidéo ; il s’agit davantage de découvrir les quatre autres personnes du groupe que l’on compose dans VR_1, soudain mués en avatars vêtus d’une jupe ou d’une chemise de hipster, noirs de peau ou aux cheveux longs. Être autre le temps de se découvrir dans une nouvelle enveloppe corporelle, c’est cela avant tout, la virtualité… et la virtuosité de cette pièce.
Réunis au milieu du désert, puis au cœur d’un centre urbain, nous regardons sans être vus – nous pensant maîtres de nos perceptions jusqu’à ce que surgissent des géants. Ils n’ont, hormis leur taille colossale, rien de menaçant ; ils nous mettent en boîte ou, selon notre perception, dans une maison (tout dépend de la manière dont on considère l’expérience). Ils disposent de l’espace, créent notre réalité… On aimerait se promener dans ce nouveau monde, mais non : l’idée est avant tout d’observer. C’est un habile clin d’œil à ce qui nous environne et que l’on ne voit plus, faute d’être souvent trop pro-actifs… C ‘est à la fois agréable et étrange d’être la cible de leurs regards. À nouveau, on aimerait converser, mais le but semble être davantage celui d’une familiarisation avec un nouveau sentiment de calme contemplatif.
L’aspect dansé de cette prestation survient à point nommé à ce moment précis, couplé à l’apparition du tableau La danse de Matisse dans le salon construit de toutes parts par nos grands amis. Nous sommes tour à tour spectateurs du tableau, d’où sortent – mais ce n’est qu’une supposition – peu à peu des danseuses et danseurs. Le souvenir de la cohabitation avec les géants libère nos mouvements de la gêne, et l’on se prend à laisser courir nos mains dans l’air, comme si la danse s’inscrivait dans notre corps au quotidien. Bien sûr, les ingé-sons guettent le périmètre nécessaire à cette expérience, qu’il ne faudra pas dépasser, mais nous composons avec leur regard et apprécions différemment ce que l’on retrouve. C’est donc enrichis que l’on revient de l’ailleurs.
Laure-Elie Hoegen
Infos pratiques :
VR_I de Gilles Jobin du 28 mars au 14 avril 2019 à la Comédie de Genève.
Mise en scène : Gilles Jobin
Avec : Cie Gilles Jobin & Artanim
Photos : © Gilles Jobin
