Avec Frankenstein, les Fondateurs créent leur premier spectacle sans parole
Dernière création de l’année 2025, Frankenstein se propose de revisiter le mythe créé par Mary Shelley à Cologny. Les Fondateurs s’emparent de ce monument de la littérature, pour en faire un projet composite, sans paroles. Nous avons pu assister à un bout de répétition et nous entretenir avec Julien Basler et Zoé Cadotsch, les deux « têtes » de ce projet à voir dès le 4 décembre à la Maison Saint-Gervais.
À notre arrivée ce matin-là, l’équipe est déjà en plein travail : une scène a à peine fini d’être jouée, et Julien Basler – metteur en scène –, Matthieu Baumann – responsable lumière et régie – et Aline Papin, l’une des actrices, échangent avec les comédien-nes au plateau que sont Vincent Fontannaz, Mélanie Foulon et François Herpeux. Il s’agit de voir ce qui fonctionne ou non, pour faire entrer le public dans l’univers du spectacle. On joue sur les dosages de chaque personnage, on tente des choses, en y allant un fond, quitte à réduire plus tard lors d’un filage. C’est à cette étape du travail que l’équipe en est : réfléchir à la musique, la lumière, la gestuelle, les mouvements scénographiques, afin que tout concorde et que l’image parle. On s’interroge alors sur les timings de jeu, d’apports d’éléments scéniques – les manipulations s’effectueront à vue, tel est le parti pris par la troupe – ou encore sur les transitions et les tops qui doivent y conduire. On reprend alors certaines scènes, avant les filages des prochains jours, en gardant toutes ces questions en tête, et bien d’autres : comment imaginer les lumières, quels seront les significations de celles-ci, quelle image renvoie la scénographie, quel temps prend-t-on pour les différents éléments sur scène ?
Une fois la répétition terminée – ou plutôt mise en pause, car elle reprend après la pause repas – nous avons l’occasion de nous entretenir avec Julien et Zoé, qui nous en disent plus sur la genèse du projet et la manière de créer de l’équipe. Julien nous confie que Frankenstein se veut être un spectacle tantôt drôle, tantôt inquiétant, tantôt poétique, si tant est que cela veuille encore dire quelque chose. En choisissant d’en faire un spectacle sans paroles, il faut créer une image qui parle et raconte quelque chose. Tout se crée conjointement, nous dit Zoé : si un élément – musique, lumière, jeu, gestuelle… – bouge, il faut tester, pour que tous les éléments s’y adaptent ou concordent avec le changement. Il est donc nécessaire d’écouter chacun-e, avec ses avis dont il faut tenir compte, qu’il s’agisse des comédien-nes au plateau, des deux « têtes » du projet, du responsable lumières ou du compositeur et responsable de la musique, Laurent Nicolas. Il faut alors trouver des compromis, en discutant dans des moments de retours qui peuvent parfois être longs, au vu des différents éléments à mettre en place. Petit à petit, la troupe entre de plus en plus dans les détails, et retravaille chaque idée en filage, pour aller vers le résultat escompté.
Un choix esthétique et sémantique
À l’origine de ce projet, il y a à la fois des envies formelles et de texte, les première devant correspondre aux secondes, et vice-versa. Dans ce projet, la volonté était de placer la musique au centre, pour revenir à une image visuelle. La musique a donc été composée et enregistrée par Laurent Nicolas spécialement pour le spectacle, qui compose ensuite avec cette musique. C’est la première fois que les Fondateurs procèdent ainsi, et le muet s’y prête particulièrement bien. Dans leurs précédentes créations, qu’il s’agisse de Quichotte, chevalerie moderne, des Bovary ou encore du Tartuffe et Dom Juan, tous les spectacles étaient très parlants. Lorsqu’ils ont débuté, en 2009, il s’agissait même d’improviser totalement, avec une composition scénographique qui guidait le spectacle, tout en portant une attention à la compréhension de ce qui se raconte. Petit à petit, en changeant des éléments formels, ils ont emmené leur public ailleurs. Le passage à des textes, qui plus est des classiques, a encore modifié leur rapport au spectacle. Ils ont ainsi toujours eu la volonté de bousculer la forme et le fond. Avec Frankenstein, il s’agit donc d’une nouvelle exploration, qui laisse place à d’autres choses. Ce que voit le public, par exemple, sera différent de ce que les personnages voient entre eux, notamment au niveau des manipulations du décor. Cette nouveauté change beaucoup de choses dans la direction des acteur/trices : il y a une certaine liberté, tout en devant s’assurer de la bonne compréhension, en passant davantage par les intentions, les émotions et le ressenti. Le choix de Frankenstein se prête bien à cette nouvelle direction : il fallait une histoire simple, connue, et permettant une certaine liberté dramaturgique, permise aussi par le fait que le texte a déjà été beaucoup vu et travaillé par différentes troupes.

Qu’est-ce qu’un monstre ?
Au niveau de la thématique, il s’agit aussi de s’interroger sur la manière de représenter un monstre au théâtre, sans utiliser de masque ou entrer dans des dimensions trop concrètes. Ce qui pose inévitablement la question suivante : qu’est-ce qu’un monstre ? Forcément, la réflexion est influencée par l’actualité, avec les différentes formes de monstruosité qui s’y développent. Plusieurs projets font d’ailleurs la part belle à cette thématique, au théâtre ou ailleurs. Dans Frankenstein, il s’agira de montrer que le monstre n’est pas toujours l’autre. C’est la manière facile de le désigner, mais il peut tout autant venir de l’extérieur qu’être en nous. Vient alors la question de ce qu’on fait de ce qui est en nous et de ce qui vient de l’extérieur, comment on devient un monstre ou non.
Pour faire évoluer cette réflexion chez les spectateur/trices, il s’agit avant tout de travailler sur les sensations. Chaque individu se posera des questions après coup, sans forcément que tout soit clair immédiatement durant la représentation. Les Fondateurs cherchent donc à amener des ressentis, des sensations, sans dire ce qu’il faut penser. Il s’agit d’être dans les émotions plus que dans l’explicatif. Pour ce faire, il faut travailler les pistes de réflexion différemment des précédents spectacles. Contrairement à ce qui se faisait habituellement, cette fois-ci les comédien-nes auront des rôles fixes, alors que, comme dans Les Bovary, tout le monde endossait plusieurs rôles, tour à tour. Ce choix est induit aussi par la modalité du muet, afin de ne pas trop perdre le public. Il faut aussi amener de l’humour, pas forcément présent dans l’œuvre originale, d’où l’intégration de certains signifiants du muet, qu’on vous laissera le soin de découvrir.

Enfin, comme dans toutes leurs créations, les Fondateurs affirment sur scène qu’ils jouent une histoire. C’est pour cela que la troupe montre tous les déplacements de décor et les manipulations à vue. Nous évoquions plus tôt le fait que le public ne voit pas la même que les personnages entre eux : sans vous dévoiler comment cela se transcrira sur la scène, on vous dira seulement que les personnages ne perçoivent pas ces changements de décor à vue, alors que le public en aura toute conscience. Une autre manière d’amener de l’humour, mais aussi et surtout de s’assurer que le spectacle reste vivant. À cet égard, on évoquera encore l’attitude du monstre sur scène, qui s’amuse simplement, sans voir le mal, à la manière d’un enfant. Il détruit, s’en prend au matériel, sans se rendre compte de ce qu’il cause. De ce fait, la dramaturgie de l’histoire imaginée par Mary Shelley et celle de la scénographie des Fondateurs s’imbriquent totalement.
Alors, prêt-es à découvrir le monstre qui sommeille sur la scène de la Maison Saint-Gervais et en vous ?
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Frankenstein, d’après le roman de Mary Shelley, par les Fondateurs, du 4 au 14 décembre 2025 à la Maison Saint-Gervais.
Mise en scène : Julien Basler
Scénographie : Zoé Cadotsch
Avec Vincent Fontannaz, Mélanie Foulon, François Herpeux et Aline Papin
Musique originale et son : Laurent Nicolas
Interprètes enregistré-es : Philippe Ehinger – clarinette, piano, Mathieu Karcher – guitare, Nelly Staljic – voix, Adrien Zucchelli – voix
Lumière et régie : Matthieu Baumann
Costumes : Diane Grosset
https://saintgervais.ch/spectacle/frankenstein/
Photos : ©Maison Saint-Gervais / Matthieu Croizier x Dual Room
