Les réverbères : arts vivants

CDD.12 : deuxième triptyque plein de questions

L’ambiance était très différente vendredi soir au Théâtre du Loup, après une première soirée riche en émotions. Les trois spectacles au programme, très distincts les uns des autres, ont posé beaucoup de questions, avec une thématique du rapport au corps très présente.

Conversation avec Joséphine – Une autre vie ?

Tout commence par un éclat de rire. « Des bananes ? » se demande cette femme sur la scène. On reconnaît, accrochée au plafond, l’emblématique ceinture de bananes de Joséphine Baker. Et si elle avait refusé ce qu’on lui demandait en France pour embarquer vers les États-Unis ? De sa loge, avant une représentation, Joséphine retrace son parcours et imagine ce qui ce serait passé si ses choix avaient été différents, avec tout ce que cela implique et le regard du XXIème siècle.

Le spectacle imaginé par Maroussia Pourpoint résonne doublement dans l’actualité : la France a décidé de frapper des pièces à l’effigie de Joséphine Baker (aux côtés de Marie Curie et Simone Veil) et nous sommes le 8 mars, journée internationale des droits des femmes. Tout un symbole ! Car la Conversation qui nous est proposée pose la question de sa condition dans une époque bien différente de la nôtre – même si on a encore beaucoup de progrès à faire. En tant que femme noire, elle a été dégradée, mal considérée, humiliée, avec des réflexions terribles qui lui ont été faites. Ce spectacle s’apparente alors à un cri de colère. C’est avant tout une conversation avec elle-même, sur ce qui aurait pu être différent, mais aussi avec le public, auquel elle se livre. C’est enfin, et c’est sans doute un élément-clé, une conversation avec la musique. Accompagnée d’un tambour bèlè – une musique originaire de la Martinique – elle dialogue véritablement avec lui : les deux se répondent, s’entraînent dans des crescendos, à mesure que la colère monte et gronde. Si l’occasion est belle de découvrir cette musique que l’on ne connaissait pas, elle ne se fait pas gratuitement, et apporte véritablement un ancrage à la narration. On réfléchit alors sur une autre carrière possible pour Joséphine Baker, qui aurait pu devenir chanteuse de blues aux États-Unis. Et quelle perte cela aurait été pour la France ! Plus généralement, c’est aussi une interrogation sur les petits choix qu’on fait au quotidien et qui peuvent, sans qu’on s’en rendre compte, changer complètement nos vies…

Still – Quel mouvement ?

Alors qu’une musique électro résonne comme si on se trouvait devant une boîte de nuit, comme un écho, deux étranges figures entrent tour à tour en scène. Leur allure rappelle celle des drag-queens, avec leur perruque, leurs talons exagérément hauts et leur tenue excentrique. Mais leur démarche, comme leurs mouvement, tiendraient plutôt de la marionnette. À l’écran placé sur le devant de la scène, le mot « Fall » s’affiche. D’où les chutes qui s’enchaînent, comme si le marionnettiste qui les dirige les lâchait d’un seul coup. Ce mot laissera place à d’autres, comme « Hunger », « Kill », « Pulse » ou encore « Grip », dans une interrogation sur certains de nos mouvements quotidiens, explorés ici à travers différents espaces, comme une redécouverte de ceux-ci sous d’autres paramètres.

La réflexion du duo artistique lo.me est prometteuse, avec des questions profondes. Malheureusement, on reste, dans un premier temps du moins, assez hermétique face à cette performance. Quelques éléments de compréhension semblent me parvenir le lendemain, au moment d’écrire cet article. La performance mériterait, peut-être, quelques clés sur le moment. Pour autant, le questionnement sur des mouvements qui nous paraissent anodins est bien là. Ces mouvements qu’on a intériorisés, qu’on fait sans s’en rendre compte – pour la plupart, car il y a aussi des dimensions plus ardues dans ce qu’elles montrent – sont ici questionnés. Dans chaque espace, symbolisé par un cercle de lumière où se trouvent un ou deux objets – chaise, téléphone, tête de mannequin… – les deux figures découvrent une forme de perte de contrôle. Que se passerait-il si on ne maîtrisait plus ces mouvements ? Une forme d’aliénation s’empare alors d’elles, symbolisés aussi par le son projeté, qui mêle de nombreux éléments. À travers cela, ce sont aussi certains fantasmes, des choses qu’on aimerait faire, réussir, mais qu’on ne parvient pas à contrôler, qui sont explorées.

Alliage – Se retrouver ?

Tout commence sous une lumière stroboscopique : on ne fait qu’apercevoir Simon Ramseier qui se déplace dans tout l’espace de la scène. Puis, un petit cercle s’éclaire au centre de la scène, autour duquel il commence à danser. Le cercle s’agrandit petit à petit, jusqu’à occuper tout l’espace, et les mouvements s’amplifient à mesure. Alliage est né du séjour du danseur au Sénégal, où il a découvert la danse Sabar, dont il parle à l’issue de ce premier moment de danse. Il dit y avoir retrouvé un certain plaisir à danser, une autre manière d’appréhender les choses au quotidien, plus serine, plus lente, en prenant le temps de la pause. Le spectacle s’inspire de cela et réfléchit sur la domination et l’appropriation culturelle, en envisageant une manière correcte et respectueuse d’emprunter des éléments à d’autres cultures.

L’Alliage est d’abord défini en voix-off, d’un point de vue métallurgique : un mélange de plusieurs métaux pour créer de nouvelles propriétés. C’est bien ce qui se passe sur la scène, au niveau de la culture et de la danse. Le hip-hop se mêle à la danse contemporaine, avec des inspirations de danse Sabar, avec la technique enseignée par Germaine Acogny. La musique, d’abord uniquement composée de percussions, devient plus électro, comme plus métallique – en lien avec le titre du spectacle – tout en gardant cette dimension percussive constance. Celle-ci contraste d’ailleurs avec les mouvements du corps, particulièrement fluides, bien que les temps soient marqués à chaque fois. De la danse Sabar, Simon Ramseier conserve ce travail sur les articulations, notamment les bras et le bassin, pour créer un mouvement ondulatoire constant. On fait alors le lien avec la réflexion dont il nous fait part, avec cette volonté de ralentir, de se laisser plus porter, de prendre le temps de la pause. Une réflexion qui nous marque aussi, pour un spectacle à la fois envoûtant et réflexif…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Conversation avec Joséphine (Cie Ursula et Perpétue et La Rookerie, Maroussia Pourpoint) : Vendredi 8 mars, 19h30 / Samedi 9 mars, 21h30 / durée 40 min

Mise en scène, texte et jeu Maroussia Pourpoint ; Assistante à la mise en scène Nais El Fassi ; Musicien Philippe Gouyer-Montout ; Collaboration artistique danse Robert Régina ; Conseils dramaturgiques Penda Diouf et Alfred Alexandre ; Partenaires ETC Caraïbe (Martinique), La Maison Rouge (Martinique), Tropiques Atrium (Martinique), Le CENTQUATRE-PARIS (Paris), Le Volatil (Toulon) ; Soutiens Institut Français, Dac Martinique, Ville de Paris, Ville de La Tour-de-Peilz

Still (Cie Cole, duo artistique lo.me composé de loren tschannen et Mélissa Biondo) : Vendredi 8 et samedi 9 mars, 20h30 / durée 40 min

Mise en scène, conception et jeu lo.me  ; Regard extérieur Alexandra Bachzetsis ; Création lumière lo.me ; Scénographie lo.me

Alliage (Compagnie Patiperros, Simon Ramseier) : Vendredi 8 mars, 21h30 / Samedi 9 mars, 19h30 / durée 40 min

Chorégraphie et jeu Simon Ramseier ; Collaboration artistique et dramaturgie Clémentine Le Bas ; Création sonore Baptiste Melileo ; Regards extérieurs Jerson Diasonama et Alex Landa Aguirrecche ; Costumes Camille Masserey ; Création lumière Samuel Montano ; Soutiens Fondation Engelberts et Canton de Vaud ; Remerciements Toute l’équipe de l’école des Sables et les stagiaires du stage « 100% Sabar », Romain Ballarini pour les percussions, Leo Fumagalli pour le saxophone, Jenna Hasse pour les photographies, Carole Christe pour la relecture

Photos : ©Théâtre du Loup (banner), ©Celine Baltide (Conversation avec Joséphine), ©Eden Levi Am (Still), ©Jenna Hasse (Alliage)

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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