Les réverbères : arts vivants

Choix… Décision…

Un moment de crise et de résolution noyé dans une comédie de boulevard – Une semaine, pas plus ! avec une mise en scène de Tony Romaniello, à voir au Théâtre Le douze dix-huit jusqu’au 6 février.

Une ouverture de rideau sur un décor contemporain, type salon haussmannien revu par Ikea. Un joli assemblage de formes et de couleurs proposé par Célia Zanghi entoure un canapé qui trône au centre de la scène comme un crucifix dans une église. Les codes du théâtre de boulevard sont bien présents et le trio de personnages place rapidement le propos du spectacle : Comment pousser l’autre à la décision quand on a fait son choix ?

Choisir, c’est agir avec sa connaissance des choses, il y va de l’imaginaire. Décider, c’est agir dans l’ignorance des choses, c’est-à-dire se confronter au réel, au vertige du vide, affronter le syndrome de la page blanche de la vie. L’auteur Clément Michel s’appuie sur la lâcheté que l’on accorde aux hommes pour placer les intentions de sa pièce et construit cette dernière tel un palindrome.

Crise de la quarantaine sans doute, Paul (Christian Baumann) choisit d’abandonner sa compagne Sophie (Laurence Morisot) sans raison autre que le «j’aime, j’aime plus » . Pouce levé, pouce baissé ; une attitude infantile hélas répandue et contemporaine. Il place son ami Martin (Laurent Bailer) dans la confidence et utilise ce dernier à ses fins telle une marionnette en le noyant dans son plan qui consiste à pousser Sophie hors du nid en créant dans son couple, encore une fois avec la complicité récalcitrante de Martin, une atmosphère irrespirable. La lâcheté n’empêchant pas l’imagination. Ainsi, après une semaine pas plus, de guerre lasse et par sa seule décision, Sophie devrait dégager laissant alors Paul dans le confort du choix et sa future ex-compagne abandonnée face aux affres de la réalité.

Ainsi qu’il en va dans la construction des boulevards, Paul va armer un certain nombre de ressorts dramatiques que Paul en dindon découvre au fur et à mesure et que Sophie en totale innocence va faire sauter. On pourrait penser que le héros selon Cervantes c’est Don Quichotte. Ici le héros, c’est Sancho. Laurent Bailer tient magnifiquement le rôle de Martin. Un personnage étriqué mélange du personnage de Bouzin (Dans Un fil à la patte de Feydeau) et celui pataud de François Pignon, le personnage fétiche de Francis Veber (Dans les films : Le dîner de cons, L’emmerdeur). Laurent Bailer apporte généreusement toutes les nuances que cet antihéros demande tandis que l’auteur lui a réservé une place de choix dans son récit.

Justement – il est à noter le déséquilibre d’écriture entre les rôles masculins et féminin. Car si le rôle de Martin colore les surfaces que Paul dessine à grands et nombreux mouvements de bras, le rôle de Sophie, tenu en juste finesse de gestes et de regards par Laurence Morisot, n’a pas reçu la même attention de la part de l’auteur. Chez certains auteurs contemporains, c’est une chose assez répandue et bien dommage pour cette comédienne dont on sent tout le potentiel dramatique.

Le rythme du spectacle est rapide et tient l’attention d’un public ravi sans relâche. Cependant une fois calé, il manque un peu de cette variation qui permet aux assauts des répliques de se détacher plus nettement. Dans cette interprétation, on sent rapidement que les comédiens sont imprégnés du monde du théâtre de l’improvisation. Cela apporte un peu plus de spontanéité aux répliques. Christian Baumann en meneur de jeu le démontre bien. Il place souvent avant les phrases cet infime temps qui donne à la réplique cette juste retenue qui permet à un texte écrit d’avoir la spontanéité du texte dit.

Écrit donc comme un palindrome, la situation va se retourner avec une symétrie presque centrale. Non seulement avec quelques identiques situations, mais aussi des phrases, des faits et gestes qui seront inversés et repris. Drôle et intéressant. Sans aucun doute l’auteur a lu Nogegon, cette bande dessinée culte de Luc et François Shuiten.

Quoi qu’il en soit, la cruche du mensonge se remplit à la source de la manipulation, qu’à la fin du compte, la réalité prend le pas sur l’imaginaire et tout se brise. Rien ne fonctionne plus mal qu’un plan parfaitement conçu. Le hasard fixe toujours à nos choix des chaînes dont on ne peut jamais se départir.

Un boulevard vif qui n’est pas dénué de sens, soutenu par une mise en scène classique de théâtre de boulevard.

Jacques Sallin

Infos pratiques :

Une semaine pas plus ! de Clément Michel, au Théâtre le douze dix-huit, du 26 janvier au 6 février 2022

Mise en scène :  Tony Romaniello

Avec Christian Baumann, Laurent Bailer, Laurence Morisot

Photos : © Nadir Mokdad

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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