Nightmare Alley : film noir façon del Toro
États-Unis vers la fin des années 30, une troupe de forains présentant un spectacle de monstres accueille un vagabond solitaire mais charmeur. Pourtant, celui-ci se révélera rapidement encore moins rassurant que la troupe. Del Toro nous plonge alors dans un univers mêlant fantastique et film noir, le tout appuyé par le style gothique dont il a le secret.
Que dire sur Guillermo del Toro ? Il est probablement l’un des réalisateurs les plus originaux et talentueux ayant exercé ces 20 dernières années. Il fait partie de cette catégorie d’artistes qui arrivent à combiner qualité avec impératifs commerciaux. Certaines de ses œuvres comme La Labyrinthe de Pan (2006) ou Hellboy (2004) peuvent même déjà prétendre au statut de film culte. C’est donc avec impatience et curiosité que l’on reçoit Nightmare Alley, son premier film depuis Shape of Water sorti en 2017.
On a le sentiment de retrouver le même univers : celui d’un film noir hollywoodien surréaliste. Même ambiance donc mais, alors que Shape of Water affichait clairement son parti pris pour le fantastique, Nightmare Alley fait le choix d’aborder le sujet avec plus de subtilité en approchant l’histoire par le biais de la folie de ses protagonistes. Comme le bébé Enoch dans son bocal de formol, nous assistons, omniscient, à leur descente aux enfers.
Ainsi, l’horreur apparaît, non plus comme un facteur externe qu’il faudrait craindre, mais vient de l’intérieur des différentes figures qui composent le film. Nous les voyons se mentir à eux-mêmes pour enfin se révéler tout au long des 2h30 qui constituent le film. La folie sert ici d’élément déclencheur nous révélant la nature véritable des différents personnages. À dire vrai, l’idée d’aller au-delà de la laideur apparente est une thématique récurrente chez del Toro. Est-ce un hasard si l’interprète du demi-démon au grand cœur Hellboy, Ron Perlman, joue ici le rôle du directeur de la fête foraine ?
Cette approche s’accompagne évidemment de la dynamique inverse où le protagoniste a priori digne de confiance et au physique “normal” se présente sous sa véritable forme. Dans le cas de Nightmare Alley, c’est Bradley Cooper qui s’y colle avec plus ou moins de succès. Il campe ici le personnage de Stanton “Stan” Carlisle, un manœuvre de prime abord sympathique mais qui s’avère être en réalité un manipulateur solitaire et rongé par l’ambition. Pour être tout à fait honnête, si Cooper s’en sort bien dans l’ensemble, il est très difficile d’oublier son profil de plus-si-jeune premier ni de le trouver tout à fait crédible dans le rôle de ce qu’il faut bien appeler un véritable connard.
Au niveau du casting seul, on retrouve plusieurs sommités. Willem Dafoe est au point, comme toujours, dans le rôle du “dresseur de monstre” Clem. Cate Blanchett interprète le Dr. Lilith Ritter, une psychiatre encore plus trouble que Stan. Cependant, il faut bien reconnaître que Nightmare Alley ne représente pas le pic de la carrière d’aucun membre du casting. Si le travail est manifeste, on a par contre de la peine à être complètement emballé.
Le principal point faible du film réside dans un déséquilibre entre les deux parties qui structurent le film. La première nous présente la montée de Stan alors que la deuxième nous emporte dans sa chute. La première est indubitablement la plus originale et la plus réussie à tous les niveaux, que ce soit dans le jeu des acteurs ou les scènes dans une foire aux monstres qui paraît être un hommage direct à Freaks (1932) de Todd Browning.
Concernant la deuxième, il ne s’agit pas d’une partie manquée mais le décalage est tel qu’il est difficile de l’ignorer. On rentre moins dans les conflits des différents personnages présentés et certaines résolutions paraissent véritablement télescopées, notamment la conclusion.
Sans être le pic de la carrière de del Toro, Nightmare Alley est un film agréable qui offre des moments originaux et même parfois glaçants. Après Shape of Water et celui-ci, on est assez curieux de voir s’il va continuer dans le genre noir tout en y instillant le fantastique qui fait sa signature. À voir donc pour les amateurs de films noirs et de comics d’horreur.
Alexandre Tonetti
Référence :
Nightmare Alley de Guillermo del Toro avec Bradley Cooper, Cate Blanchett, Ron Perlman & Willem Dafoe États-Unis, 2021 (sortie en salles le 19 janvier 2022).
Photo : © DR