Les réverbères : arts vivants

Faire vivre les mots d’un écorché

Une phrase sans point qui s’étale sur 60 pages. Un homme en colère interpelle un passant et déroule le récit de sa solitude. Une performance éblouissante. C’est, en substance, ce que l’on retrouve dans La nuit juste avant les forêts, à voir jusqu’au 30 janvier au Théâtre du Galpon.

Sous la pluie, dans un décor de désolation urbaine, un homme incarné par François-Xavier Fernandez Cavada cherche une chambre pour une partie de la nuit. Seul, il vient peut-être de se faire tabasser – en témoigne les taches sur son marcel – ; il a en tout cas trop bu pour rentrer chez lui de suite et cherche un peu de compagnie, quelqu’un à qui parler. Il aborde alors un inconnu dans la rue et sort toute sa rage, tout ce qui est enfoui en lui, comme un fil de pensée que l’on détend. Pendant environ une heure, il racontera son histoire, son statut d’étranger qu’on regarde bizarrement, ses différences, le jugement qu’il porte sur les autres, ses ambitieux projets, mais surtout, surtout sa solitude…

Le corps et le cœur humide

Tout commence sous la pluie. L’eau tombera d’ailleurs de l’armature métallique au centre de la scène, disposée pour l’occasion en bi-frontal, tout le long du spectacle. Quand l’homme débarque, sa première remarque se concentre sur son physique : il est trempé, ses cheveux ruissellent, ses habits sont tâchés. Il s’en excuse. Cette humidité de la rue et du corps laisse transparaître celle de son cœur. C’est un homme brisé qui se présente sur scène, un homme en quête de compagnie, qui ne cherche même pas véritablement à être compris d’ailleurs. Les mots sortent par besoin, pour extérioriser ce trop-plein qui bouillonne en lui, à la recherche peut-être du paradis, d’une lueur d’espoir ?

Le plateau reflète ainsi brillamment son état intérieur : la pénombre qui règne nous donne ainsi un indice sur l’heure avancée de la nuit à laquelle ce personnage prend la parole. Mais elle nous indique aussi que la noirceur s’est emparée de lui. Et la référence au titre nous apparaît alors plus clairement : cette Nuit juste avant les forêts est sans doute pour lui le dernier moment pour se sortir de cette situation dans laquelle il se trouve. Situation qui n’est d’ailleurs pas explicite. Mais qu’importe. On est pendu à ses lèvres, à ses mots, on perçoit à quel point il est torturé.

Une performance éblouissante

Mais ce qui nous frappe le plus, c’est avant tout la précision et la justesse avec lesquelles joue François-Xavier Fernandez Cavada. Lui qui nous avait déjà impressionné l’été dernier dans Un ennemi du peuple à l’Orangerie semble ici franchir encore un palier. Tout n’est pas sans nous rappeler son puissant monologue d’alors : l’humidité qui règne, cette impression d’être seul contre le monde entier, ces nerfs qu’il ne peut plus contenir, cette recherche d’un idéal… Seulement, ici, cela dure, et dure encore, sans pause. Les mots résonnent et claquent, reviennent par moments, comme dans un cycle sans fin dans lequel il serait pris.

Et que dire de sa gestuelle ? Il y a d’abord cette occupation de l’espace : alors qu’il reste au même endroit durant la quasi-totalité du spectacle, il parvient à nous faire imaginer les lieux, les personnages dont il parle et surtout celui à qui il s’adresse. Alors que ce dernier n’est pas présent sur la scène et ne parle pas, on croirait presque à un dialogue. Comme si les mots de son interlocuteur surgissaient à travers lui. Mais ce qui nous marque encore plus, c’est l’utilisation qu’il fait de ses mains. Les gestes sont travaillés dans les moindres détails : tantôt le poing serré, tantôt les doigts étirés, il se recoiffe, remet son pantalon en place… et tous ses gestes accompagnent parfaitement ses mots, sa colère, sa tristesse, la désolation qui l’entoure. L’espoir surgira-t-il ?

Fabien Imhof

Infos pratiques :

La nuit juste avant les forêts, de Bernard-Marie Koltès, du 18 au 30 janvier 2022 au Théâtre du Galpon.

Mise en scène : Gilles Lambert

Avec François-Xavier Fernandez Cavada

Photos : © Elisa Murcia Artengo

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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