Les réverbères : arts vivants

Copies : peut-on vraiment tout recommencer ?

Et si les progrès de la génétique nous permettaient de cloner parfaitement un être humain ? On pourrait ainsi tout recommencer et ne pas reproduire les mêmes erreurs. C’est le postulat que propose Copies, de Caryl Churchill, à voir au Galpon jusqu’au 6 mars.

Le pitch du spectacle est assez simple : un père (Serge Martin) a cloné son fils (Angelo Dell’Aquila) lorsque celui-ci avait 4 ans, afin de reprendre son éducation, sans erreurs cette fois. Arrivé à l’âge adulte, Bernard découvre la vérité et se pose beaucoup de questions. D’autant plus lorsqu’il découvre que les scientifiques ne se sont pas arrêtés là et ont fait une vingtaine d’autres copies de l’original. C’est au même moment que le premier fils, confié aux services sociaux 35 ans plus tôt, revient dans leurs vies, et bouleverse tout…

Tout réparer ?

Copies, c’est un spectacle qui parle de réparation. Preuve en est avec le décor : une toile blanche se tient au fond de la scène, toute raccommodée. On en voit encore les traces, les morceaux recousus ou recollés, qui ne se fondent pas totalement dans le reste. Voilà qui en dit long sur la tentative de réparation de la part du père : ses erreurs existeront toujours et ne seront jamais véritablement effacées. Les éléments de bois, peints en blanc, qui constituent le reste de la scénographie semblent, quant à eux, tous identiques et interchangeables à l’infini. Ils deviennent ainsi des tabourets, des bancs, des espaces de rangements ou encore des pilotis sur lesquels Bernard n°1 se tiendra en équilibre. À l’image des copies de ce dernier, sont-ils vraiment tous les mêmes et interchangeables ? Le fait que le père reprenne toujours le même pour s’asseoir en dit long…

Des dialogues ciselés

Copies, c’est surtout une partition d’une extrême difficulté composée par Caryn Churchill et orchestrée de main de maître par Lefki Papachrysostomou. Les dialogues entre le père et Bernard n°1 et n°2 s’alternent, avec même la présence d’un troisième Bernard dans la dernière scène du spectacle, permettant de reconstituer petit à petit les morceaux de l’histoire. Dans ces dialogues s’enchaînent stichomythies – un véritable ping-pong verbal – phrases qui ne se terminent pas vraiment, réponses évasives, silences, non-dits et autres sous-entendus… Parfois même les deux personnages parlent en même temps, ne s’écoutant pas véritablement. Ces nombreux changements de rythme sont maîtrisés à la perfection par les virtuoses du verbe que sont Serge Martin et Angelo Dell’Aquila.

Pour donner encore plus de profondeur à l’œuvre, on notera la présence de Tim Robert-Charrue et de sa caméra, dont les images sont projetées en direct sur la toile blanche en fond de scène. Outre le côté voyeur de ces moments de profonde intimité, l’utilisation de l’image permet de montrer les détails du visage du père, qu’on ne perçoit pas de notre position de spectateur·trice et qui montrent à quel point il est marqué par cette histoire. Les traits de son visage sont tendus, serrés, et on le sent bouleversé lorsque son premier fils revient après toutes ces années d’absence. Lorsque les images de ce dernier sont projetées, c’est un effet de profondeur infinie qui se dévoile sous nos yeux. Comme dans certaines illusions d’optique, les images du fils se reproduisent les unes derrière les autres, dans un mimétisme parfait, comme si une infinité de Bernard étaient présents, reproduisant tous les mêmes gestes.

De nombreux questionnements

Copies, c’est un spectacle extraordinairement malsain. Si la forme est aussi réussie, c’est aussi parce qu’elle ne peut se dissocier du fond. Il y a d’abord cette interrogation sur les « progrès » de la science. Parviendra-t-on, un jour, à cloner à la perfection un être humain ? Cela peut faire peur, et Copies nous permet de mesurer, un peu, l’impact que cela peut avoir sur l’être originel. Mais aussi sur ses copies : si le n°3 est fasciné par ce phénomène, le n°2 en semble perturbé, lui qui n’est pas un véritable être humain, car né dans une éprouvette, à partir d’un autre modèle. Tant au niveau éthique qu’émotionnel, les questions sont nombreuses. On note toutefois une note d’espoir à la fin du spectacle. Ces personnages ont beau être génétiquement les mêmes à 100%, leur trajectoire de vie est toute différente. Le premier a été abandonné et ne s’en est jamais vraiment remis, le deuxième vit une vie heureuse avec son père, alors que le troisième, prof de maths, vit avec sa petite famille une vie simple, mais pleine de bonheur… L’avenir ne serait donc pas tout tracé. Voilà qui est encourageant et fait de Copies un spectacle sans jugement.

Quoiqu’il en soit, on ressort du Galpon avec des interrogations et autres incertitudes plein la tête, questionnements qui continueront de tourner un moment dans nos têtes. On gardera surtout en mémoire la mémorable exécution de cette partition si complexe par une troupe qui aura tout soigné dans les moindres détails.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Copies, de Caryl Churchill, du 22 février au 6 mars 2022 au Théâtre du Galpon.

Mise en scène : Lefki Papachrysostomou

Avec Serge Martin et Angelo Dell’Aquila

https://galpon.ch/saison/copies/

Photos : © Olivier Carrel

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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