Les réverbères : arts vivants

Coup de poing dans l’eau pour Othello

Othello est devenu boxeur, dans I am not what I am, une adaptation de la pièce éponyme, grâce au collectif Rust Roest. Un spectacle original, qui laisse toutefois une impression mitigée. À voir au Théâtre du Loup jusqu’au 18 décembre.

La pièce commence avec une acclamation donnée au « Général », également appelé « le Maure de Venise », alias Othello. Champion incontesté de boxe, il a épousé la belle Desdémone. Dans le même temps, il remplace son entraîneur-bras-droit Iago par Michel Cassio. Blessé dans son orgueil, Iago tentera de se venger, pour déloger Cassio et faire tomber tout ce qui entoure Othello. Les mots, au centre de la pièce de Shakespeare, résonneront alors comme des uppercuts, pour mener tout ce petit monde à sa perte…

De belles idées, pas toujours exploitées

I am not what I am, c’est une adaptation ambitieuse. Un spectacle qui se veut être coup de poing. Pourtant, si l’intention de départ est belle, on peine à entre pleinement dans la pièce. Pourquoi ? Il y a d’abord cette idée du boxeur. L’entrée est puissante, énergique. Sur la musique électro live qui accompagne toute la pièce, une voix off demande d’acclamer Othello. D’abord muet dans le vestiaire, il impose par une certaine prestance. L’absence de paroles dégage une sorte d’éloquence silencieuse. Malheureusement, cela ne convainc pas totalement : Othello reste bien souvent trop calme, ne sortant jamais de ses gonds, ne tapant jamais du poing sur la table – sauf en toute fin de pièce, ou sa colère éclate vraiment. Dommage, on aurait aimé un Othello au tempérament plus affirmé, capable d’exploser et de dire sa rage. À l’instar de Desdémone et Cassio (joués tous deux par Marie Ripoll), le jeu reste trop dans la retenue, avec cette impression parfois que le texte est trop récité, sans être assez incarné. Pourtant, à d’autres moments, on se laisse emporter par la justesse de l’interprétation. Malheureusement, trop rarement.

On regrettera enfin que cet univers de la boxe ne soit pas assumé jusqu’au bout. Quitte à aller dans ce domaine, pourquoi ne pas avoir adapté davantage le texte à cet univers ? Il y a certes quelques bribes de modernité, des tentatives de transposition, mais elles restent souvent trop timides. On évoquera enfin le décor, composé de plaques en plastique, qui se désagrègent petit à petit et symbolisent l’univers dans lequel évoluent les personnages – un univers qui tombe en ruines au fil de la pièce. L’idée est belle, preuve en est avec la fin jouée hors de ce décor, sur des espaces noirs qui évoquent la déchéance du monde d’Othello. On aurait aimé voir plus de moments comme celui où Iago, dans un accès de colère, prend des grandes parties du décor pour les jeter avec rage. Le rapport au monde de la boxe, où les coups pleuvent et s’enchaînent, aurait ainsi résonné plus fort. On se serait attendu à ce que les mots tombent comme des coups de poing. La chute de ce monde aurait mérité d’être encore plus accentuée, à l’image du monde intérieur des personnages, dévastés, qu’il s’agisse d’Othello ou de Iago.

Les idées sont donc belles, mais on reste souvent sur notre faim, tant elles ne semblent pas toujours assumées jusqu’au bout.

De belles réussites

Malgré ces difficultés, I am not what I am reste un spectacle durant lequel on ne s’ennuie pas. Beaucoup d’éléments fonctionnent très bien : on citera d’abord la performance de Sandro De Feo, qui joue à la fois Iago et Rodrigo (dont Iago se sert pour provoquer et faire déchoir Cassio), et qui sort véritablement du lot. Manipulateur central de la pièce, il tient un rôle d’un cynisme à toute épreuve, avec un air en permanence détaché qui lui sied bien. Son rire devient sardonique lorsque la vérité éclate, lorsqu’il se retrouve tiraillé entre la satisfaction de la vengeance et le doute d’avoir bien agi.

Les lumières et la musique, interprétée en live, apportent également une dimension plus sombre à la pièce. S’accordant parfaitement aux mouvements des comédiens et aux moments de transition, elles créent un véritable univers scénique qui souligne l’idée de spectacle coup de poing, donnant du corps et de la puissance à un spectacle qui en manque malheureusement parfois un peu.

Au final, on sort de I am not what I am avec un sentiment mitigé, un mélange de satisfaction et de frustration. Satisfaction, parce qu’on a tout de même passé un bon moment de théâtre. Frustration, parce qu’on aurait aimé que l’énergie soit plus forte et les idées exploitées jusqu’au bout, pour un spectacle qui aurait pu résonner comme un uppercut et nous en mettre plein la vue.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

I am not what I am, d’après Othello de Sir William Shakespeare.

Conception et mise en scène : Sandro De Feo

Avec Alain Borek, Sandro De Feo et Marie Ripoll

https://theatreduloup.ch/spectacle/i-am-not-what-i-am/

Photos : © Audrey Bersier

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

Une réflexion sur “Coup de poing dans l’eau pour Othello

  • Elidan Arzoni

    Il y a un jeune metteur en scène romand, Sandro De Feo, dont le travail mérite d’être suivi et soutenu. En effet, son adaptation audacieuse d’Othello proposait une conception percutante, intelligente, contemporaine et surprenante, remarquablement bien mise en scène. Ce jeune metteur en scène a le sens de l’espace, du rythme, du signe, des codes théâtraux et d’une économie judicieuse des moyens. De plus, l’excellence et le soin de la scéno, des costumes, des lumières et du son en live nous montrent qu’il a non seulement une vision théâtrale des plus intéressantes mais qu’il a également du goût. Enfin, campant avec beaucoup de subtilité à la fois les rôles de Iago et de Rodrigo, il a prouvé qu’il était également excellent comédien. Chapeau !
    Pour son prochain projet, on lui suggère d’accentuer sa direction d’acteurs afin que le jeu de ses acteurs puisse encore gagner en intensité et en profondeur émotionnelle.

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