Les réverbères : arts vivants

Dans les illusions de notre cerveau

Une mamie et son petit-fils à la recherche d’un trésor, c’est le prétexte choisi par la Cie Don’t Stop Me Now pour parler aux enfants des biais cognitifs, dans Biais aller-retour. À voir au Théâtre Am Stram Gram jusqu’au 10 octobre.

Mamie Mathy (Mathilde Soutter) – soyez prévenu·e·s, les jeux de mots sont nombreux dans ce spectacle ! – raconte souvent à son petit-fils Mathieu (Mathieu Fernandez) l’histoire de ces deux déesses qui aiment l’une la liberté l’autre la sécurité, et qui finissent par se rejoindre au pied d’un arc-en-ciel, découvrant qu’un trésor s’y trouve. Alors, quand Mamie doit être placée en EMS et qu’il faut trouver une grosse somme d’argent pour payer son séjour, Mathieu a une idée de génie : emmener Mamie au pied de l’arc-en-ciel qu’il a vu à travers la fenêtre de l’école et déterrer le trésor qui s’y trouve ! Oui, mais… creuser un trou entre deux tombes dans un cimetière, c’est illégal, et les voilà arrêtés par la police et mis en procès ! Mais qu’est-il réellement arrivé à ceux qui sont désormais connus sous le nom des M&M’s, dans ce cimetière ?

Expliquer les biais cognitifs aux enfants

Les biais cognitifs, ce sont, pour résumer, des choses que notre cerveau nous fait croire, en traitant les informations trop rapidement. On retrouve ce phénomène dans les illusions d’optique, mais aussi sur les réseaux sociaux, où de fausses rumeurs peuvent très vite se répandre… La définition de ce phénomène psychologique est un peu complexe pour des enfants, alors quoi de mieux que l’illustrer par l’exemple ? Pour ce faire, le metteur en scène Steven Matthews s’est associé à Gaspard Boesch et Andrzej Zeydler pour la scénographie et à Rémi Furrer pour la lumière. L’esthétique est tout simplement sublime. On retrouve ainsi une lumière bleue qui rend des chaussettes – enfilées sur les mains de six comédiens – fluorescentes pour faire parler les diverses parties de la conscience de Mathieu, avec un joli clin d’œil à l’Histoire racontée par des chaussettes dans les intonations des différents personnages. Et, quand ces chaussettes se rassemblent pour créer un visage qui explique les biais cognitifs, on est subjugué·e par l’esthétique du moment. L’éclairage à la lampe de poche, lors de la scène du cimetière, crée quant à elle une ambiance angoissante, tandis que les stroboscopes permettent de mieux figurer la course-poursuite entre les M&M’s et la police, en donnant une impression de mouvement malgré leur position statique. On évoquera également l’utilisation du théâtre d’ombres, pour suggérer le trajet de Mamie et Mathieu se rendant au cimetière, ou encore le jeu sur les perspectives, notamment au tribunal, avec cette impression de la toute-puissance du juge et des avocats, face à la petitesse du banc des accusés.

Tous ces éléments apportent au spectacle un aspect à la fois ludique et pédagogique : on comprend aussi bien ce que sont les biais cognitifs que la façon dont notre cerveau peut nous jouer des tours, tout en assistant à de jolies leçons de vie, concernant par exemple le véritable trésor au pied des arcs-en-ciel…

Un humour débordant

On pouvait s’y attendre venant de cette compagnie, l’humour est bien présent, comme c’était déjà le cas dans Tu comprendras quand tu seras grand ou La princesse eSt le chevalier. Le spectacle s’adressant avant tout aux enfants ; les personnages sont parfois cartoonesques, à l’image de cette Mamie qui rappelle celle de Titi et Grosminet, ou encore des policiers – un peu stéréotypés – pas très malins dès qu’ils ouvrent la bouche. On citera aussi l’avocat de la défense (un peu trop agressif), ou son homologue qui se perd dans ses papiers… Les jeux de mots sont également légion, et parlent tant aux enfants qu’aux adultes, permettant plusieurs niveaux de compréhension, pour petits et grands. Dans cet univers déjanté, on rit à gorge déployée devant les reprises de chansons connues (Despacito ou Grace Kelly) par la chorale catholique qui répétait ce soir-là et a pris peur en voyant des ombres dans le cimetière…

On rit beaucoup, certes, mais on n’en oublie pas de retenir la jolie leçon que nous enseigne la rencontre entre les M&M’s et le crâne de Berthold Brechbühl (BB, pour les intimes) : le véritable trésor réside dans notre pensée, notre soif de connaissance et notre esprit critique. Notre capacité à ne pas se fier aux apparences et à faire travailler notre cerveau peut aussi contribuer à rendre le monde meilleur, en témoigne la belle reprise finale, en chœur, de la non-moins belle chanson What a wonderful world.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Biais aller-retour, de Steven Matthews (avec la collaboration de Jérôme Sire et Mathilde Soutter), du 1er au 10 octobre au Théâtre Am Stram Gram.

Mise en scène : Steven Matthews

Avec Maud Faucherre, Mathieu Fernandez, Lorin Kopp, Verena Lopes, Jérôme Sire, Mathilde Soutter, Mirko Verdesca

https://www.amstramgram.ch/fr/programme/biais-aller-retour

Photos : © Ariane Catton Balabeau

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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