Les réverbères : arts vivants

Danse comme si tu traçais ta vie

Inspiré des Traces de vie d’Alice Rivaz, le spectacle Entre les deux épaules de Caroline de Cornière mêle danse et texte pour montrer  ces petites impressions et évènements de la vie qui imprègnent les gestes du quotidien. À voir au Galpon jusqu’au 5 mai.

Dans ses Traces de vie, Alice Rivaz compile les notes qu’elle a prises entre 1939 et 1972. Abordant tous les thèmes, de l’importance de la musique à la peur du vieillissement, en passant par la solitude, l’amitié ou les rêves, elle illustre à quel point elle a toujours éprouvé de l’empathie avec les êtres qui l’ont entourée, tout au long de sa vie. En réponse à ce texte, Caroline de Cornière a eu une « envie de solo, [qui] est une réponse à l’écriture d’Alice Rivaz qui questionne la solitude de l’écrivain, de l’artiste au féminin face au temps qui trace ses marques[1]. » Par ce biais, elle met aussi en avant le rôle de l’artiste au féminin. L’écriture d’Alice Rivaz se révèle ainsi « chorégraphique » d’une certaine manière, puisqu’il y est toujours question du corps.

« Le sentiment du bonheur me fut donné en même temps qu’une reconnaissance éperdue d’être vivant, ressentie parfois comme un poids délicieux, une chaleur, une présence, dans la gorge et les poumons. »
Alice Rivaz

De la parole au geste

Sur la scène, le spectacle s’ouvre sur un air de piano. Caroline de Cornière prend la parole et récite, dans son micro, les paroles d’Alice Rivaz. À travers des extraits de texte, les références au corps se font nombreuses. Alors, petit à petit, sans transition, la parole se tait et laisse place à l’expression du corps, glissant vers la danse. Dans une démonstration de grâce, mais aussi de force, elle apporte une esthétique nouvelle aux mots précédemment prononcés. D’abord seule, Caroline de Cornière cherche, expérimente, dans le but de trouver une place, à l’image de l’écrivaine face au monde, de la femme aussi, à qui on ne laisse pas toujours l’espace auquel elle peut prétendre. Les gestes se répètent, se font plus précis, plus rapides, plus sûrs aussi. Et puis…

Le rapport à la vieillesse

Et puis apparaît une deuxième danseuse, bien plus âgée, jusqu’ici assise dans la pénombre au fond de la scène. Rosangela Gramoni, s’installe dans un coin du tapis posé au milieu de la scène tandis que Caroline de Cornière la rejoint. Ensemble, elles dansent comme dans un effet miroir, avec un léger décalage. Cette image, ce pourrait être celle de son avenir, celle qu’elle deviendra plus tard. Et pour cause, son acolyte n’est pas choisie au hasard : fondatrice de la section genevoise du Mouvement de libération des femmes, Rosangela Gramoni est une fervente défenseuse des droits des femmes. L’une de ses premières mesures a été la mise en place d’un groupe de self-help, visant à revendiquer une expertise des femmes sur leur propre corps. Qui de mieux qu’elle pour questionner ce rapport au corps et à la vieillesse, avec tous les changements qu’elle entraîne ?

Pendant les cinquante minutes que dure le spectacle, alterneront des moments de rapprochement, dans les gestes ou dans la proximité, et des moments d’écart de rapidité d’exécution et de déplacement, dans une chorégraphie millimétrée et envoûtante. La jeunesse de la danseuse, son corps encore fort, solide, s’affirme, tout en prenant conscience de l’avenir et de ce qu’elle pourra devenir, en réponse aux interrogations d’Alice Rivaz. Les gestes s’allient aux mots, comme pour les illustrer et leur donner un corps. Loin d’une image de vieillesse en souffrance, c’est au contraire une femme toujours plus affirmée et engagée qu’elle pourra devenir. Si les gestes ne seront plus les mêmes, que la vigueur sera sans doute moins présente, elle continuera de passer son message, de questionner à travers la danse, qui en dit parfois autant, voire plus, que les mots.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Entre les deux épaules, tiré des Traces de vie d’Alice Rivaz, du 2 au 5 mai 2019 au Théâtre du Galpon.

Conception et chorégraphie : Caroline de Cornière

Avec Caroline de Cornière, Rosangela Gramoni et Michel Di Mauro (figurant)

https://galpon.ch/spectacle/entre-les-deux-epaules/

Photos : © Elisa Murcia Artengo

[1] Extrait du dossier de presse.

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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