Les réverbères : arts vivants

De l’absurdité des relations humaines

Au Théâtricul, le Collectif C Com Comédies s’amuse avec le Théâtre sans animaux de Jean-Michel Ribes. Dans Monique, Jean, Claudine et les autres, iels adaptent trois saynètes de ce théâtre de l’absurde, pour y questionner l’intime des relations humains, avec un humour débordant et décalé.

Le Théâtre sans animaux de Ribes se présente sous la forme de huit saynètes, toutes plus absurdes les unes que les autres. Comme à son habitude – on l’avait déjà vu avec des adaptations de Tchekhov – le collectif C Com Comédies prend plaisir à jouer avec les codes, pour proposer au public un spectacle déjanté, mais qui ne manque pas de faire réfléchir. Ici, ce sont trois histoires qui s’entremêlent, au fur et à mesure du passage des personnages dans un vestiaire de sport. On retrouve donc pêle-mêle un père et sa fille Monique dont il a oublié le prénom, deux amis qui redécouvrent le passé meurtrier de la famille de l’un des deux, ou encore un couple en crise à cause de la perruque Louis XV dont l’homme refuse de se séparer…

De l’envers du décor

En choisissant des vestiaires de sport comme lieu pour l’action de ce spectacle, les comédien·ne·s que sont Julia Portier, Thomas Diebold, Fabrizio Vacirca et, en alternance, Bastien Blanchard et Antoine Courvoisier, montrent l’envers du décor. Car le vestiaire, comme la loge de théâtre, c’est l’antichambre du spectacle, l’endroit où l’on se prépare avant d’entrer en scène ou sur le ring, le dernier lieu où l’on est seul avant d’affronter le public ou son adversaire. C’est, ce qu’on ne voit normalement pas. Symboliquement, cela nous ramène à l’intime. Ce qu’on entend des conversations entre les personnages relève ainsi de l’intime, d’éléments qu’on garde normalement pour soi. Les secrets révélés au détour d’une confidence en disent ici bien plus des personnages que ce qu’ils montrent aux yeux de tous habituellement. Ce vestiaire évoque aussi la joute, l’affrontement sportif. Et les personnages qui s’y croisent, pas toujours issus de la même saynète, évoluent comme des adversaires : ils se toisent, s’observent avant d’entrer dans le duel, où les répliques vont fuser. On entre ainsi encore mieux dans le rythme du spectacle, comme si on assistait à la préparation des comédiens et leur montée en puissance jusqu’au climax de l’entrée en scène, où il faut tout donner pour transmettre son énergie.

Un monde de décalages

Ça, c’était pour la forme. Encore faut-il que le fond colle avec. Ne faisons pas durer le suspense : c’est réussi ! Tout est absurde dans ce spectacle, du texte aux costumes, en passant par les ajouts de l’adaptation. Ainsi, la voix-off du complexe sportif annonçant les diverses séances de sport ne fait que surenchérir dans l’humour. On se laissera volontiers embarquer dans un cours de rugby sur glace ou de water-poney… Mais ces passages ne sont pas là que pour faire rire : ils permettent de justifier les costumes s’apparentant à des patchworks de plusieurs éléments. On citera par exemple les gilets jaunes associés à de grandes bouées et à des épées, sans doute en vue d’un duel d’escrime aquatique ? Ou encore la raquette badminton qu’il ne faut surtout pas oublier après avoir enfilé ses palmes… Absurde vous avez dit ?

Ces costumes semblent par moments contraster avec les passages plus « sérieux » du texte. Notez bien les guillemets, car avec Ribes, rien n’est jamais totalement sérieux. Ainsi, les personnages s’enferment dans des certitudes et autres obsessions qui ne font pas vraiment sens : appeler son meilleur ami « Bob » au risque de raviver de mauvais souvenirs, refuser qu’on ait pu appeler sa propre fille Monique parce que c’est vraiment trop moche comme prénom, ou encore refuser de se séparer de sa perruque Louis XV… Et pourtant, tout cela en dit long sur les relations humaines. On s’enferme dans des certitudes, au milieu d’un moment empli d’incertitudes. C’est ce paradoxe qui nous frappe le plus dans cette adaptation. Rien n’est d’ailleurs choisi au hasard, et même les réflexions les plus incongrues reflètent un pan de la société. L’obsession de porter une perruque par exemple, semble ridicule, jusqu’à ce qu’on comprenne qu’elle est le seul moyen trouvé par cet homme pour remplacer son addiction à la cigarette. Eh oui, la psychologie est parfois difficile à comprendre…

Que vous vous identifiez à Monique, Jean, Claudine ou les autres, ce spectacle ne vous laissera pas indifférent. Et bien que l’on rie avant tout, ce sont aussi nos petits travers, parfois inexplicables, qui nous sont renvoyés en pleine face ici. À voir jusqu’au 4 décembre, avant une tournée qui emmènera le collectif à la Parfumerie, aux Caves de Bon-Séjour à Versoix, ou encore au Galpon en fin de saison. Courez-y !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Monique, Jean, Claudine et les autres, d’après Jean-Michel Ribes, au Théâtricul du 26 novembre au 4 décembre 2021, puis à La Parfumerie du 7 au 16 janvier 2022, aux Caves de Bon-Séjour les 28 et 29 janvier 2022 et au Théâtre du Galpon 10 au 22 mai 2022.

Mise en scène : Collectif C Com Comédies

Avec Thomas Diebold, Julia Portier, Fabrizio Vacirca et en alternance Bastien Blanchard ou Antoine Courvoisier.

Le collectif comprend Mathilde Soutter, Lionel Perrinjaquet et Serge Martin.

https://theatricul.net/11275-2/

Photos : © Antoine Courvoisier

 

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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