Les réverbères : arts vivants

Désamorcer les violences par le rire… mais pas que !

H.S. – tragédies ordinaires. C’est le titre d’une pièce de Yann Verburgh, librement adaptée sous forme de conférence théâtrale par le collectif Sur Un Malentendu, à la Comédie de Genève le week-end dernier, avant une potentielle tournée…

H.S. Cela pourrait évoquer le fait d’être hors sujet, ou hors service. Sans doute que cette abréviation n’a pas été choisie au hasard, puisque, face aux situations dont on nous parle, on réagit parfois de manière hors sujet, face à des personnes devenues hors service, pourrait-on dire. En réalité, la thématique est bien plus grave, puisque ces initiales réfèrent au harcèlement scolaire et, dans une plus large mesure, aux violences en milieux scolaires. Le sujet est « à la mode », mais pourtant mal connu, mal renseigné. Pendant un peu plus d’une heure, le collectif Sur un malentendu propose ainsi une conférence théâtrale, exemples tirés de la pièce de Yann Verburgh à l’appui. Un spectacle qui fait passer le public par diverses émotions.

D’abord, le rire

L’introduction prête à sourire : sur une musique pop entraînante, les deux présentateur·trice·s de la conférence façon talk-show à l’américaine (Emilie Blaser et Pierre-Antoine Dubey – notons ici que tous les comédiens utilisent leurs vrais prénoms dans le spectacle, pour une meilleure immersion) débarquent, emplis d’énergie pour nous présenter le GIFLE (Groupe d’Intervention Fédérateur Ludique et Éducatif). On est immédiatement en décalage avec le propos qui se voulait sérieux. Mais le rire ne s’arrête pas là. Chaque membre du collectif prend un rôle typé et parfois caricatural. Toutes et tous sont dans l’excès : Emilie Blaser et Pierre-Antoine Dubey ont trop d’énergie et de bonne humeur, Cédric Djedje est trop dans l’écoute de tout ce qui l’entoure, Claire Deutsch est trop engagée, Cédric Leproust est trop obnubilé par les bonobos et leur façon de vivre ultra-pacifiste… Quant à Nora Steinig, elle est à hurler de rire dans son rôle d’intervenante à la timidité maladive, qui peine à s’exprimer en public, jusqu’au moment de littéralement « péter un plomb » face à ses comparses qui ne prêtent absolument pas l’oreille à ses explications, certes laborieuses. Le rire permet ainsi de désamorcer la gravité des propos, mais aussi de capter l’attention du spectateur pour ne pas le mettre dans une émotion trop négative, afin qu’il suive la conférence jusqu’au bout.

Ensuite, la gravité

Inutile de le rappeler, le harcèlement scolaire, et toutes les violences dans ce milieu, sont des faits graves. C’est là qu’intervient le texte de Yann Verburgh. À travers plusieurs épisodes ciblés, montrés sous forme d’exemples par les intervenants de la conférence, c’est la dure réalité qui est montrée. Il y a d’abord ce garçon seul (interprété par Claire Deutsch), qui fait tout pour éviter les regards et autres moqueries, de peur qu’on le remarque. Il y a ensuite cette fille qui finit par se suicider parce que des photos d’elle nue ont circulé sur le net, envoyées et retransférées par tous ses camarades. Il y a aussi cette jeune fille qui se scarifie dans les toilettes pour avoir moins mal que ce qu’on lui fait subir tous les jours et qui se retrouve en conseil de discipline parce qu’elle a donné un coup de cutter à une enseignante trop insistante et qui n’a pas vu sa détresse. Il y a enfin ce jeune étudiant, raillé et humilié chaque jour par son enseignante d’Histoire pour ses origines arabes et qui, n’en pouvant plus, finit par la menacer avec une arme pour l’humilier en retour. De ces situations, on perçoit une constante : la solitude. Solitude face aux autres élèves, qui délaissent les victimes, solitude face aux enseignants qui ne voient pas ou feignent de ne pas voir la détresse, solitude face au système qui n’est pas adapté à cette souffrance quotidienne. C’est aussi la réalité des conséquences, souvent tragiques, qui est montrée. Cela prend aux tripes.

Enfin, la bienveillance

Si les personnages sont caricaturaux, ils n’ont pourtant pas tort dans ce qu’ils défendent, que ce soit la résolution du conflit par le partage et le pacifisme, comme chez les bonobos, ou dans la camaraderie. Mais surtout, ce qui manque le plus aux victimes de toutes ces formes de violence, c’est la bienveillance. Cédric Djedje emmène le public dans une démonstration qui semble d’abord loufoque autour de la mémoire émotionnelle de l’eau, avant de transmettre, aidé par ses comparses, un moment de bienveillance partagée, en guise de clôture de cette pièce. Si bien que toutes et tous, nous sortons de ce spectacle, pourtant dur, avec un étrange sentiment de bien-être. Les mots ont bien plus de pouvoir qu’on ne le pense, dans un sens comme dans l’autre…

Au final, ce spectacle montre, à travers les émotions qu’il transmet, les trois aspects des violences dont il parle : le rire pourrait symboliser le déni, le fait qu’on essaie de cacher les choses ou d’en atténuer la gravité. Les exemples, si graves soient-ils, illustrent quant à eux les conséquences tragiques et pourtant ordinaires, comme nous le rappelle le titre, du harcèlement scolaire. Enfin, pour terminer sur une note encourageante, c’est une solution, pourtant simple, celle de la bienveillance, qui nous est proposée. Le tout pour une conférence théâtrale à la fois complète et complexe sur un sujet difficile. Merci et bravo !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

H.S – tragédies ordinaires, conférence théâtrale pour les adolescent·e·s, adapté de la pièce éponyme de Yann Verburgh, du Collectif Sur un malentendu, du 23 au 25 avril 2021 à la Comédie de Genève.

Mise en scène : Collectif Sur un malentendu

Avec Emilie Blaser, Claire Deutsch, Cédric Djedje, Pierre-Antoine Dubey, Cédric Leproust et Nora Steinig

https://surunmalentendu.com/h-s/

Photos : © Anna Pacchiani (banner) © Francesca Palazzi (inner)

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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