Un menuet se danse à plusieurs
Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, présentée au POCHE/GVE, est un huis clos pour 4 comédiens ; deux hommes et deux femmes, écrit par l’acteur, auteur et metteur en scène Rainer Werner Fassbinder. Cette pièce est de l’ordre de la confession, ce dernier l’ayant rédigé à 19 ans, en pleine crise d’identité sexuelle. En effet, le jeune Franz n’est autre que l’auteur lui-même.
C’est dans un appartement en grande partie recouvert de fourrure, un univers sulfureux où les corps se déplacent tendus à l’extrême, s’allongent, se frottent puis s’approchent ou s’éloignent en signe d’une émotion difficile à maitriser, que se déroule cette pièce à l’humour cinglant.
Un jeune homme influençable de 20 ans, Franz, sur le point de se marier, rencontre un soir un homme d’âge mûr de style dandy, Leopold, qui le ramène chez lui. Ces personnages entament alors une relation de dépendance périlleuse faite de jeux amoureux, de manipulation entre dominant et dominé, dont l’issue ne pourra être que dramatique.
Franz est intimidé et attiré par Leopold, un despote qui sait s’y prendre dans l’art de la séduction. Il se reproche de ne pas avoir honoré son rendez-vous avec Anna, sa fiancée mais la tentation l’emporte. Leopold se déplace d’une manière affectée, se lève, se rassoit, s’adosse au mur, se frotte à Franz apeuré et plaqué au mur. Puis ils font un jeu de rôle. En arrière-plan apparaissent Anna et Véra la compagne de Léopold qui ricanent et se moquent des deux hommes. On remarque ici que l’auteur se joue du ridicule du comportement des êtres humains par le biais des mouvements physiques des protagonistes, de la distorsion des corps.
Franz entame une vie d’attente, recluse qui va durer six mois auprès de Leopold, sans arrêt en voyages pour ses affaires. Franz est accro et soumis, perd la raison ; il se crée un enjeu de pouvoir entre ces deux hommes. Leopold lui fait des reproches, l’humilie, ils argumentent. Tel un menuet, les personnages de déplacent, longent le mur, se prélassent sur le sol. Et à Leopold de continuer ses reproches à son amant, qui lui, cherche à se justifier. Franz se roule par terre et écoute un opéra pour apaiser son esprit, sa souffrance. Ces mouvements corporels, similaires à des pas de danse, caractérisent ces personnages et c’est la manière dont ils nous transmettent leur ressenti intérieur, leur mal-être fait de manipulation, la séduction, la soumission.
Anna relance Franz et ils se retrouvent dans l’appartement de Leopold. Mais Franz aime Leopold. Ce dernier entre chez lui avec Véra et découvre les deux jeunes gens. Etrange ménage à quatre, toujours plus pervers derrière l’apparence du jeu accouplé à des dialogues qui tombent tels des couperets. Franz souffre, se torture, la tension est extrême. Il n’en peut plus, son émotion est trop intense. Alors, il décide de s’empoisonner et meurt.
Anna et Véra feront l’amour avec Leopold comme si aucun drame ne venait de se dérouler et c’est ainsi que se termine cette farce noire. A nouveau, l’auteur nous décroche un sourire grinçant car comment un être humain peut-il batifoler alors qu’un être cher vient de se donner la mort sous ses yeux? Quels sont les liens réels qui unissaient ces quatre personnes ? La vie n’est-elle qu’un jeu, une atroce impossibilité à grandir pour certains ? Cette pièce fait partie des œuvres qui met en avant la critique sociale. Nous découvrons tout l’art de Fassbinder de mêler le drame à la comédie ; nous rions eu début de pièce et plus l’intensité augmente plus le cynisme prend place. Leonard canté dans son rôle de séducteur-manipulateur nous fait hérisser les poils de dégout. Quant au jeune Franz lui, il a l’air d’une pauvre âme en souffrance qui n’a pas la force de se sortir des griffes du pouvoir de son amant.
Valérie Drechsler
Infos pratiques :
Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, de Rainer Werner Fassbinder, du 21 avril au 09 mai 2021 au POCHE/GVE.
Mise en scène : Mathieu Bertholet
Avec Valeria Bertolotto, Angèle Colas, Jean-Louis Johannides, Guillaume Miramond
Photos : © Samuel Rubio