Les réverbères : arts vivants

Don Carlos, vie privée et raison d’état

En juin dernier le Grand Théâtre a terminé en beauté avec un magistral Nabucco et reprend la saison avec un Don Carlos brillant dans sa version française et une superbe distribution dans une mise en scène de Lydia Steier. À voir du 15 au 28 septembre

Nous sommes au milieu du XVIème siècle la guerre entre l‘Espagne et la France semble trouver une issue. C’est une femme, Elizabeth de Valois, qui sera le dernier enjeu d’un conflit politique et religieux.  Elle sera  l’objet d’un marché conclu entre Philippe II d’Espagne et Henri II, Roi de France.  Belle destinée que celle de cette femme symbole d’une paix à laquelle elle contribue du haut de ses 14 ans. Terrible destin pour celles qui devra faire taire ses sentiments au profit de la raison l’État.

Mis en scène par Lydia Steier, américaine d’origine, Don Carlos dans sa version française de 1867 n’est pas le prototype de l’opéra verdien. L’intrigue se déploie sur cinq actes et huit tableaux en presque quatre heures. Le format n’est pas habituel mais c’est dans sa version française de 1867 crée pour l’Exposition universelle (plus tard raccourcie par Verdi lui-même) que la scène du Grand Théâtre accueille cette production.

C’est dans un cube qui pivote sur lui-même que l’histoire se déroule, offrant au premier tableau une représentation de la forêt de Fontainebleau où se rencontrent l’Infant Don Carlo et Élisabeth puis tour à tour une succession de lieux : salles du palais, place du village, chapelle, prison au fur et à mesure du développement du livret. Un décor et une dramaturgie simple et efficace qui laissent à l’histoire et aux protagonistes une place de choix.

Une distribution au top

Du côté de la distribution on ne peut que se réjouir. Stéphane Degout (baryton) en Rodrigue, Marquis de Posa, habite son rôle avec une formidable présence scénique et une conduite vocale sans faille. Ève-Maud Hubeaux campe une princesse Eboli pleine d’énergie et nous livre un O don fatale dans un dénuement scénique qui ne fait qu’accroître la puissance dramatique de ce moment tant attendu ! La performance de Rachel Willis Sørensen (Elisabeth de Valois) est à la hauteur de ses partenaires même si les aigus parfois trop larges dénaturent de façon fugace le magnifique timbre de la chanteuse.

Enfin Marc Minkowski dirige l’Orchestre de la Suisse Romande avec le savoir-faire qu’on luit connaît, portant les musiciens vers toutes les nuances et la subtilité que requiert la partition d’une telle œuvre.

Mise en scène et intemporalité

Si l’action se déroule au XVIème siècle Lydia Steier, n’entend pas y confiner le drame. Elle prend le parti de l’universalité et propose une vision multi temporelle. L’inquisition, les complots et l’instabilité politique qui régnaient en ces temps lointains n’avaient en effet rien à envier aux régimes totalitaires et autoritaires du siècle dernier et du nôtre, leurs autodafés et leurs exécutions sommaires.  Si les moines équipés de casques sous leur capuche déambulent sur le plateau et la Stasi se glissent avec habileté dans la mise en scène, c’est que les murs sous Philippe ll, tout comme sous le régime stalinien, avaient des oreilles qui portaient un nom : l’Inquisition, agissant en coulisses, en silence, sans états d’âme mais avec détermination.

Si les costumes et la mise en scène rappellent résolument le régime de l’Allemagne de l’Est et de l’URSS des années 50, Lydia Steier se faufile entre les siècles avec aisance et habille la scène du « ballet » (coupée dans la version plus tardive de Don Carlos), devenue « partie fine » en costumes d’époque. Sans doute une façon de rappeler que l’histoire n’est qu’un éternel recommencement et que ni l’habit ni l’époque ne font le moine.

Katia Baltera

Infos pratiques :

Don Carlos, Giuseppe Verdi au Grand Théâtre de Genève du 15 au 28septembre 2023

Mise en scène : Lydia Steier

Direction musicale : Marc Minkowski

Avec Charles Castronovo en alternance avec Léonardo Capalbo (Don Carlos) Dmitry Ulianov (Henri ll, roi d’Espagne), Rachel Willis Sorenson (Elisabeth de Valois), Stéphane Degout (Rodrigue, Marquis de Posa), Eve-Maud  Hubeaux (Eboli), Liang, Li ( Le grand inquisiteur), Ena Pongrac (Thibault), L’Orchestre de la Suisse Romande et le Choeur du Grand Théâtre

https://www.gtg.ch/saison-23-24/don-carlos/

Photos : © Magali Dougados

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