Les réverbères : arts vivants

Donner de l’intérêt à l’insignifiant

Et si la radio parlait du quotidien et de sa banalité, loin de la spectacularité devenue habituelle ? Un trio d’animateur·ice·s propose au Grütli un spectacle nommé France Anodine – La radio des petites choses.

Le plateau de la salle du 2ème du Grütli prend des allures de studio radiophonique : sur les tables placées au centre se dressent des micros, des casques, des ordinateurs, des consoles avec de nombreux branchements, des pads permettant de lancer les jingles et autres sont de la radio… En fond de scène, on retrouve un logo rappelant celui d’un radio connue, si ce n’est qu’il est blanc au lieu d’être rouge et que le mot « anodine » remplace « inter ». Trois animateur·ice·s – Juliette Chaigneau, Dominique Gilliot et Antoine Pesle – nous accompagneront durant 1h30 pour présenter une journée de radio typique, durant laquelle on parlera du banal, et rien de spectaculaire. Exit les guerres et grands conflits internationaux, la politique engagée, les questions climatiques et sociales, les rubriques people… le mot d’ordre est le suivant : rien de sensationnel sur France Anodine !

Une journée à la radio

Le spectacle se déroule donc comme n’importe quelle journée de radio. Une fois les animateur·ice·s arrivé·e·s sur le plateau, iels se saluent et commence le « morning », cette émission matinale qui accompagne les auditeur·ice·s au réveil et durant leur trajet pour aller travailler. On parle d’un nouveau trajet pour venir au studio, d’un resto sympa qu’on a aperçu en route, de l’oubli de son repas… le tout dans un échange presque informel, une discussion de café, comme si les auditeur·ice·s étaient également présent·e·s et pouvaient interagir avec elleux. La journée continue avec un invité – ce soir-là, il s’agissait de Vincent Devie, co-directeur technique du Grütli – interviewé au sujet de la séduction, avec des conseils de drague pour le moins improbables qui lui été donnés. Les autres émissions de la journée sont du même acabit : on nous fait découvrir un trajet… tout sauf incroyable, pour se rendre sur la presqu’île de Giens, haut lieu touristique déjà bien connu.

S’ensuivent une émission autour de la fabrique de jingles, une émission d’écoute typique des fin de soirées, où les auditeur·ice·s peuvent appeler pour être écoutés. Leurs problèmes sont ceux de Monsieur et Madame Tout-le monde, rien d’exceptionnel. D’autres propositions ont lieu durant l’heure et demie que dure le spectacle, mais on vous laissera les découvrir par vous-mêmes. Quoiqu’il en soit, France Anodine nous propose un joli panorama de ce qui se fait en radio, mais en renversant les sujets et les approches pour ne parler que de choses tout à fait banales.

Entre parodie absurde et réflexion profonde

Avant d’assister au spectacle, on ne savait pas trop à quoi s’attendre, surtout au niveau du ton qui lui serait donné. S’agirait-il d’une pièce sérieuse ou de quelque chose de très humoristique ? La réponse nous est rapidement donnée : France Anodine est un spectacle drôle, durant lequel on rit beaucoup, avec de nombreux éléments absurdes, comme des jingles à rallonge ou des titres d’émission totalement improbables. On se dit alors qu’il s’agit d’une parodie, mais il serait trop simple de le résumer ainsi. Car cette parodie n’est pas gratuite. Sans tomber non plus dans un spectacle qui dénoncerait de grandes choses, France Anodine se veut le pendant de ces radios où tout semble important, grave, spectaculaire, mais trop souvent éloigné de nos préoccupations quotidiennes. Ici, le climat est loin d’être anxiogène, et l’intérêt se porte sur la banalité du quotidien, parfois presque de manière extrême pourrait-on dire. Mais il faut dire que les propos nous parlent. On soulignera d’ailleurs le bel effort d’adaptation de la troupe qui, loin de rejouer le même texte à chaque représentation, transforme certains passages en fonction du lieu où elle joue. Il est par exemple, pour l’occasion, question du quartier entourant le Grütli, avec des noms de rues et d’enseignes qui nous sont familières. Cette idée rend le propos de France Anodine encore plus percutant, pour parler vraiment à son public. Et même si l’on peut penser que la mécanique s’essouffle quelque peu sur les dernières minutes, la trouvaille finale, avec l’intervention du « regard extérieur » de la troupe, permet de relancer leurs affaires et de finir sur une note originale.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

France Anodine, de Juliette Chaigneau, Dominique Gilliot et Antoine Pesle, du 18 au 22 décembre 2023 au Grütli – Centre de production et de diffusion des Arts vivants.

Mise en scène : Juliette Chaigneau, Dominique Gilliot et Antoine Pesle

Avec Juliette Chaigneau, Dominique Gilliot et Antoine Pesle

https://grutli.ch/spectacle/france-anodine/

Photos : © Dorothée Thébert Filliger

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

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