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Du polar qui fait meuh

« Antoine se mit à courir, arrivé au sommet d’un talus, il aperçut les vaches attroupées. […] Il s’approcha à grandes enjambées et découvrit un spectacle désolant. Heidi gisait dans une mare de sang, la gorge tranchée. » (p. 123)

Début 2015. – Le village de Gryon, au cœur des Alpes vaudoises, est à nouveau témoin d’événements sanglants. Après la sordide affaire du Muveran[1], l’inspecteur Andreas Auer, en désaccord avec sa hiérarchie, se repose à Gryon et se lie d’amitié avec les paysans du coin. Ni une, ni deux, le voilà apprenti-fermier lors de l’Exposition régionale de vaches laitières d’Aigle. Une reconversion serait-elle envisageable ? C’est sans compter la rivalité tenace qu’entretiennent certains éleveurs de la région, et qui va finir de la pire des façons…

Alors que le corps de la vache Heidi est retrouvé dans les prés, de mystérieuses disparitions de femmes inquiètent les habitants de Gryon. En parallèle, des événements louches interpellent la police vaudoise : étrange suicide, chantage, transactions immobilières frauduleuses, rachats de terrains commandités depuis la Russie… quelqu’un en veut aux chalets d’alpage de Gryon – pour en faire quoi ? Il y a aussi un tueur à gages tout droit sorti d’un film de James Bond (le cruel Liso Ice – ou, Visage de glace) et un homme aux fantasmes morbides, « qui s’enivr[e] du parfum de sa mère ». Toutes ces histoires seraient-elles liées ? Andreas Auer et son compagnon Mikaël, journaliste indépendant, auront bien du mal à les démêler…

Suspense noir et vert pâturage

Ne cherchez pas une réminiscence de Johanna Spyri dans ce roman ! Pas de fillette aux tresses joueuses, pas de grand-père bourru : rien ne saurait en être plus éloigné, « Heidi » n’étant là que pour titiller notre curiosité, en convoquant le souvenir d’une figure imaginaire bien connue. Ce qui n’enlève rien à l’histoire, au contraire. Publié en 2017 chez Slatkine & Cie, Qui a tué Heidi ? est le deuxième polar helvétique du Genevois Marc Voltenauer. On y retrouve les personnages et les lieux qu’il a décrit dans Le Dragon du Muveran : Andreas et Mikaël, mais aussi Erica (la pasteure de Gryon), ainsi que l’équipe de policiers avec qui travaille Andreas. Si certains sont un peu stéréotypés (notamment Andreas, le flic venu du grand nord, qui traîne casseroles de son passé et petit complexe narcissique en mode « bad boy »), ils sont tous, au final, assez attachants. Des chapitres courts permettent d’alterner entre leurs différents points de vue, dans une recette bien connue des scénaristes soucieux de suspense. Cette division très rapide a l’avantage de nous laisser sur notre faim, à chaque chapitre… et de vouloir continuer ! Mine de rien, on engloutit très vite les 444 pages de Qui a tué Heidi ?.

Le village de Gryon, quant à lui, est fidèle à lui-même : grâce aux descriptions de Marc Voltenauer, on a plus que jamais l’envie d’y aller[2] ! Au menu de ce deuxième opus : des vaches, des sommets enneigés, des chalets et des recettes bien de chez nous… mais également de la noirceur, des sentiments inavouables et des complots tortueux apparemment indépendants les uns des autres, qui finissent par se mêler dans une seule grande énigme. Il y a même des petits airs du Silence des agneaux, dans les mots de Marc Voltenauer, un je-ne-sais-quoi qui fait vraiment froid dans le dos…

Le parti-pris de la Suisse

Parvenir à nouer ensemble particularités helvétiques et enquêtes aussi haletantes que malsaines, c’est là, sans doute, une des grandes forces de Marc Voltenauer. Alors que d’autres romanciers suisses (comme Joël Dicker) choisissent pour décors de leurs intrigues les États-Unis et parient ainsi sur un imaginaire suffisamment lisse pour séduire le plus grand nombre[3], Marc Voltenauer mise au contraire sur le régionalisme… et ça marche. Après le succès du Dragon de Muveran, récompensé en 2016 par le Prix littéraire SPG (qui distingue une première œuvre de fiction d’un auteur romand, publié dans une maison d’édition suisse[4]), Qui a tué Heidi ? ne quitte pas les verts pâturages du canton de Vaud. En tant que romand, on s’amusera des notes de bas de page, destinées à « traduire » certains termes bien de chez nous à l’attention des lecteurs moins familiers de ce vocabulaire (par exemple, « carnotzet », « renversé » ou « désalpe »). Si la volonté de faire « couleur locale » peut, de prime abord, agacer ou étonner, ces notes aident réellement à se plonger dans le décor… et, d’un point de vue marketing, permettent probablement de mieux diffuser l’ouvrage à l’étranger.

À l’heure où le monde du polar est largement dominé par les écrivains scandinaves ou américains, Marc Voltenauer est un de ces auteurs qui nous rappellent qu’en Suisse aussi, on sait bâtir des enquêtes complexes[5] !

Magali Bossi

Référence :

Marc Voltenauer, Qui a tué Heidi ?, Genève, Slatkine & Cie, 2017, 446p.

www.slatkine.com et www.marcvoltenauer.com

Photo : ©Magali Bossi

[1] Voir Marc Voltenauer, Le Dragon du Muveran, Lausanne, Plaisir de Lire, 2015.

[2] Pour les curieux, l’office du tourisme de Gryon propose une ballade historique, sur les traces du Dragon de Muveran

[3] Voir par exemple Joël Dicker, La Vérité sur l’affaire Harry Quebert (Paris, éditions de Fallois / L’Âge d’Homme, 2012) ou Le Livre des Baltimores (Paris, éditions de Fallois, 2015).

[4] Voir https://www.spg-rytz.ch/publications/prix-litteraire-spg/.

[5] Pour s’en convaincre, je vous conseille de lire également les ouvrages de Joël Dicker, Olivier Gerig (qui campe aussi ses personnages dans nos contrées) ou encore Corinne Jacquet (avec qui on explore les mystères de Genève).

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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