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Encres alliées : une création à plusieurs mains (épisode 5)

Encres alliées, c’est un projet de création pluridisciplinaire. Neuf volets, neufs univers, entre textes, musiques, illustrations et lecture. À découvrir régulièrement sur Youtube, où que vous soyez.

En cette période d’incertitude sanitaire, la création n’a pas dit son dernier mot. Paul Castellano, étudiant à l’Institut littéraire suisse de Bienne, a réuni des auteur.e.s, des illustrateur.trice.s, des musicien.ne.s et des lecteur.trice.s. Son projet ? Créer ensemble, en mêlant texte, musique, lecture et dessin. Les Encres alliées vous proposent ainsi de découvrir, au fil des semaines, neuf univers différents.

Le cinquième épisode a pour titre « 8.10.38.41 ». Il réunit Sébastien Armure (texte), Adrien Zumthor (lecture), Paul Castellano alias Lupa (musique) et Johanna Martins (illustration). Comment ces artistes ont-ils créé ensemble ?

La Pépinière : Bonjour à tous les 4 ! Ce texte s’intitule « 8.10.38.41 », des chiffres qui correspondent aux âges mentionnés dans le texte. On comprend vite qu’il s’agit d’expériences de vie, du personnage auquel vous donnez la parole. Que pouvez-vous nous en dire ?

Sébastien Armure : J’ai écrit ce texte dans le cadre d’un atelier intitulé « Doser le soi ». Il puise dans mes propres souvenirs et donne la parole à une voix queer. Une voix discriminée qui finit par trouver les mots pour guérir les blessures infligées. Les âges correspondent donc aux âges mentionnés, comme les événements les plus marquants pour cette voix.

La Pépinière : Le texte  raconte des expériences complexes, difficiles à imaginer pour quelqu’un qui ne les auraient pas vécues, avec des mots et formules finalement simples, donnant une puissance difficile descriptible au texte de Sébastien. Comment avez-vous appréhendé cette lecture ?

Adrien Zumthor : C’est le premier texte que j’ai lu et enregistré. Il m’a fallu un petit temps d’appropriation. Je me suis beaucoup posé la question de savoir si c’était quelque chose de digéré ou pas. Je l’ai traduit comme étant une agression homophobe. Est-ce une agression permanente ? Une agression qui a eu lieu et qui traumatise ? Ou est-ce une agression qui a eu lieu, qui a traumatisé et qu’on peut voir avec une certaine distance ? Ayant découvert l’illustration et la musique après avoir enregistré, ce sont ces questions-là qui m’ont fait lire le texte comme ça. Je l’ai trouvé intéressant – comme tous ceux que j’ai lus – et c’est ce qui m’a donné envie de les défendre et d’y prêter ma voix. Celui-ci était particulièrement intéressant parce qu’il avait des formulations pas évidentes à comprendre. Donc il a fallu voir ce que je faisais entendre, comment et ce qui était dit. Le tout sans déformer le texte. C’était une question centrale : comment l’interpréter et le défendre le mieux possible, sans le dénaturer ?

La Pépinière : Dans la musique, on sent une certaine légèreté, avec une sorte de note d’espoir, dans des sonorités qui rappellent le rap. Comment s’est construite cette bande-son ?

Paul Castellano, alias Lupa : J’ai reçu la lecture d’Adrien et j’ai cherché des instrus de rap. Je trouvais que le texte très poétique de Sébastien, autant que la voix très posée et rythmée d’Adrien convenaient à cette ambiance. J’ai donc retravaillé une production qui est à la base une collaboration avec Dyd, un beat maker genevois. Cette prod avait quelque chose de très léger, comme une fuite, ainsi qu’une sorte de mélancolie qui marchait parfaitement avec le texte. J’ai ménagé des espaces de silences et des moments instrumentaux pour créer un équilibre entre l’intensité du texte et la légèreté de la musique.

La Pépinière : Sur l’illustration, on peut voir une forme s’apparentant à un bout de peau, avec des tâches d’encre au-dessus, qu’on pourrait percevoir comme des éclats de balle, image de la souffrance vécue par le personnage du texte. Comment l’image s’est-elle insérée dans le reste du projet ?

Johanna Martins : Lorsque Paul m’a parlé de son projet, j’ai tout de suite aimé l’idée d’un mélange entre quatre pratiques artistiques (écriture, arts visuels, théâtre et musique). Pour moi, ces échanges sont malheureusement peu fréquents. Ce qui est dommage car ils peuvent se nourrir les uns des autres et ils peuvent nous apporter un autre regard sur notre propre travail.

En ce qui concerne ma contribution, il m’a été demandé de réaliser un visuel pour l’une des lectures. Je travaillais à ce moment sur une nouvelle série de peintures grand format sur papier mélangeant gouache aquarellable et acrylique. Comme je n’avais pas d’atelier à ce moment-là, le sol de mon studio était jonché de feuilles qui séchaient lorsque j’écoutais la lecture. Durant toute l’écoute je regardais une peinture en particulier et je réalisais que celle-ci faisait un bel écho à ce que j’entendais. Je l’ai donc proposée.

Lorsque j’écoute et que je regarde les autres lectures, j’apprécie le fait que mes yeux puissent se raccrocher à une image car je ne suis pas habituée à écouter des textes poétiques. La musique permet de créer une ambiance, un espace dans lequel se déverse les mots, un cadre mais aussi un rythme. Je pense que tous ces éléments ainsi que la manière dont cela est diffusé va permettre à beaucoup de personne d’apprécier ce genre de texte et d’écouter quotidiennement de la poésie.

La Pépinière : Merci à vous pour ces réponses ! Et bon vent au projet Encres alliées !

Propos recueillis par Fabien Imhof

Photo : ©Johanna Martins

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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