Les réverbères : arts vivants

Entre Ciel et Terre

Le dernier opéra en date de la programmation Mondes en migration, Voyage vers l’Espoir, de Christian Jost a attiré les foules au Grand Théâtre de Genève du 28 mars au 4 avril dernier. Et pour cause, les moyens mis à disposition pour cet opéra sont impressionnants et le résultat obtenu totalement bluffant.

Les trois actes sont en marche continue avec un paysage qui change constamment. La forme de cette œuvre oscille entre le lyrique et le symphonique, un genre très innovant. La mise en scène a été attribuée à Kornél Mundruczó, réalisateur et scénariste renommé en Hongrie et le livret est signé Káta Weber. Voyage vers l’Espoir est inspiré du célèbre film Reise der Hoffnung de Xavier Koller et primé aux Oscars® en 1991 comme meilleur film en langue étrangère.

Histoire de vie dramatique

C’est l’histoire d’une famille kurde vivant en Turquie, obligée de vendre ses terres pour pouvoir émigrer en Suisse et qui laisse derrière elle, deux adolescents. Seul le plus jeune de la fratrie voyagera avec ses parents. Voici le passage déchirant où il faut choisir entre ses enfants pour un avenir meilleur, mais lequel ? Choisis toi-même, moi je ne peux pas dit Meryem, l’épouse. Haydar, le mari : Lui, on le prend. C’est même le plus petit. Il n’était même pas prévu. Un cadeau de Dieu, il nous portera chance.  

À la recherche du Paradis perdu ?

Cette histoire de vie liée à l’émigration est toujours aussi brûlante d’actualité et a réussi à plonger le public au cœur même du déracinement. À l’issue de l’opéra, les émotions restent imprégnées en chacun·e des spectateur·ice·s. Impossible de rester indifférent·e·s au destin de cette famille qui souhaite un avenir meilleur et qui s’est vu infliger la pire des peines : la perte d’un enfant. Les passeurs ont déposé la famille au pied d’un col alpin, la météo est très mauvaise, il fait froid, le brouillard fuse et la neige se met à tomber. La famille se perd dans les hauteurs de cette montagne. Le petit est trop faible pour continuer le voyage et avant de partir dans l’au-delà :

J’ai cru que c’était le monstre. Oui, c’est bien le paradis. Voyez de la neige. Froide comme un sorbet à Maresh. […] Son père : Viens, Ali Mehmed, tiens bon, n’abandonne pas. Entre Ciel et Terre. Mon cœur bat comme au seuil du néant. […] Il va s’envoler. Plus rien ne le retient. Il est léger, si léger, comme un flocon de neige.

Des rythmes puissants et des solistes émouvants

L’Orchestre de la Suisse romande a touché l’âme de chacun·e des spectateur·ice·s. Les rythmes sont puissants et le flux organique des instruments fait vibrer le public. Les acteur·ice·s et les chanteur·euse·s lyriques tendent tous vers le même but, celui de la cohésion dramaturgique. La direction musciale a été attribuée à Gabriel Feltz pour la première fois au Grand Théâtre. Les protagonistes de l’histoire – les parents – ont été brillamment interprétés par le baryton turc Kartal Karagedik (le Père Haydar) et la mezzo-soprano canado-tunisienne Rihab-Chaieb (La Mère Meryem), ainsi que l’enfant cadet de la famille (Mehmed Ali) interprété à tour de rôle par Ulysse Liechti et Georges Birkbeck. Les voix des solistes sont très expressives et extrêmement émouvantes. Tou·te·s ont su créer une atmosphère propice à la réflexion, très proche finalement de la tragédie grecque mais au plus juste reflet de notre société contemporaine, dans une acception beaucoup plus moderne et réaliste.

Récit immédiat et travail participatif

Dans le cadre de la production de Voyage vers l’Espoir, le projet Voyage vers la scène a proposé à des requérants d’asile et réfugiés de travailler en tant que figurants sur la scène du Grand Théâtre de Genève.

Superbe travail également pour la création vidéo signée Rūdolfs Baltiņš qui a proposé à l’opéra de rejoindre des techniques modernes de projection d’images pour créer une ambiance de proximité avec la scène. Cet opéra se veut en quelque sorte participatif et le fait de saisir l’action dans son immédiateté le permet. Mettre à l’ouvrage des personnes de nationalités différentes, ouvrir le champ des possibles à d’autres horizons, donne au résultat final toute sa force et son authenticité.

Un grand BRAVO à toutes les personnes ayant contribué de près ou de loin à cette odyssée, c’est grâce à leur participation que cette création mondiale est si réussie.

Des valeurs essentielles naissent l’espoir

Les valeurs d’empathie et de morale sont les maîtres-mots à retenir du Voyage vers l’Espoir et permettent de recentrer l’être humain en tant que citoyen du Monde et à sa juste compréhension de celui-ci. L’espoir fait vivre et les rêves sont essentiels à la survie de l’être humain. Une pensée immédiate pour Federico García Lorca, qui a écrit dans un poème de jeunesse :

L’univers est en attente de quelque chose qui encore n’a pas éclos. La flore infinie des étoiles et les faunes de l’âme retiennent leur souffle et regardent vers un point qui est loin attendant la clé du mystère, point qu’attaque la mort avec un marteau fantastique. Car si le point lointain venait à s’effacer du ciel il y aurait une catastrophe d’étoiles, un énorme amas d’étoiles couronnées de fantastiques squelettes.

Dates à retenir

Nous attendons toutes et tous le prochain ballet que propose le Grand Théâtre de Genève dans le cadre de Mondes en migration, Traces, de Damien Jalet et Fouad Boussouf du 19 au 23 avril au Bâtiment des Forces Motrices. Entre suspense et impatience…

Natacha Gotti

Infos pratiques :

Voyage vers l’Espoir, opéra de Christian Jost, création mondiale au Grand Théâtre de Genève, du 28 mars au 2 avril 2023

https://www.gtg.ch/saison-22-23/voyage-vers-lespoir/

Photos : © Grégory Batardon

Natacha Gotti

Passionnée de théâtre depuis sa plus tendre enfance, Natacha Gotti a étudié les Lettres, la psychologie et la pédagogie à l'Université de Genève.

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