Le banc : cinéma

« Midnight Express » ou le blues d’Istanbul

À travers l’histoire vraie de l’Américain William « Billy » Hayes et ses années passées dans les geôles turques pour possession de haschisch, le réalisateur Alan Parker livre, avec Midnight Express, un long métrage d’une violence et d’une justesse intactes, même si le film de 1978 est devenu, à d’autres égards, quelque peu daté.

Billy Hayes est à l’aéroport d’Istanbul où il doit décoller pour rentrer aux États-Unis. Sous ses vêtements, deux kilos de haschisch. Alan Parker est un réalisateur d’effets : les battements de cœur alors que Billy prépare son paquetage ou qu’il approche des douaniers, voilà qui n’est pas très original, mais cela demeure toujours efficace. La condition de Billy, d’homme libre à prisonnier, est scellée en neuf minutes, au moment où débute la musique de Giorgio Moroder (autre effet daté avec ses nappes de synthétiseurs).

Durant près de deux heures, on va alors découvrir, horrifié, le choc des cultures, et suivre en même temps que le héros, la réalité policière de l’époque. Nous sommes dans les années 70, Janis Joplin vient de mourir, Nixon est président et le calvaire de Billy est avant tout politique. Ainsi, comme un trophée, la police prend l’Américain en photo avec sa drogue, et montre que la Turquie lutte contre le trafic. Sans compter l’aspect terroriste, quelque peu oublié aujourd’hui (car remplacé par d’autres actes traumatisants) : au moment de son arrestation, des terroristes palestiniens venaient de faire exploser cinq avions en cinq jours. Décidément, Billy se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment !

« Chers parents, ceci est la lettre est la plus pénible qu’il m’a été donné d’écrire. J’espérais sortir au plus vite de ce merdier pour que vous n’auriez même pas à apprendre cette histoire. Mais ce n’est plus possible à présent. J’ignore ce qui va se passer. Que pourrais-je vous dire ? Que je suis désolé, cela apaiserait votre douleur, la honte que vous ressentirez ? Pardonnez-moi, je vous en supplie. »

Alan Parker vient de la télévision et son cinéma coïncide avec l’arrivée des vidéo-clips. Cela s’en ressent. Son film va vite et il est captivant dans le sens où il capte l’attention. Il faut dire aussi que le sujet est suffisamment fort pour, à lui seul, capter l’attention de n’importe quel spectateur.

Alors, Billy fait l’apprentissage de la vie dans les prisons turques, avec les cellules non fermées (!), les actes de torture au quotidien… Parker n’épargne rien, ni personne. Et si cette violence fait penser à celle d’un de ses films plus tardifs sur la peine de mort (La Vie de David Gale, 2003), visuellement c’est pourtant à Birdy (1984) que l’on songe immédiatement, du fait de l’enfermement.

Dans cet enfer sur Terre, il y a de la vie cependant, et c’est assurément ce qui rend Midnight Express supportable, avec les bons (Jimmy Booth, Max et Erich, les codétenus de Billy) et les méchants (les gardiens mais aussi Rifki, la balance). Une vie rythmée par les procès, en turc non traduit pour marquer davantage encore l’incompréhension (quatre ans et deux mois pour détention, puis deux ans et demi – « les Turcs me font mourir à petit feu » – avant que la peine soit commuée en prison à vie).

« Les avocats intègres en Turquie, ça n’existe pas. Ils sont tous véreux. Ils prennent des cours du soir pour apprendre la corruption. Ceux qui sont soupçonnés d’honnêteté sont rayés du barreau. » (Max)

Alors qu’il ne lui reste que 53 jours à effectuer, Billy apprend qu’il en a encore pour – au moins – 30 ans ! Que faire ? Sombrer dans la folie ou se faire la belle ? S’évader, en jargon de prison, cela se dit « prendre l’express de minuit ».

Les tentatives d’évasion sont frappée du sceau de la réalité, on n’est ni dans La grande évasion, ni dans le Stalag 17 de Billy Wilder que les protagonistes préfèrent citer. Brad Davis, l’acteur qui interprète le rôle de Billy Hayes, dont c’était le premier grand rôle, joue de manière à la fois sobre et en même temps extrêmement très juste, jusqu’à devenir impressionnant à la fin. Alors que la photographie, toujours en clair-obscur, avec ses puits de lumières ou son voile de sable qui brouille la vision, donne une atmosphère particulière au film, la dernière demi-heure devient éprouvante, psychologiquement parlant, car le héros tutoie la folie et comme le spectateur vit l’histoire à travers son regard…

Premier film marquant d’Alan Parker (si l’on excepte Bugsy Malone en 1976), Midnight Express voyait l’éclosion du réalisateur et annonçait Birdy, Angel Heart, Mississippi Burning, The Commitments, tout ce que ses films ultérieurs ne feront que confirmer : Alan Parker est un grand réalisateur mineur.

Bertrand Durovray

Référence : Midnight Express, film d’Alan Parker. Scénario : Oliver Stone. Avec Brad Davis, Irene Miracle, Randy Quaid, John Hurt. Drame. 1978. 2 heures.

Photos : © DR

Bertrand Durovray

Diplômé en Journalisme et en Littérature moderne et comparée, il a occupé différents postes à responsabilités dans des médias transfrontaliers. Amoureux éperdu de culture (littérature, cinéma, musique), il entend partager ses passions et ses aversions avec les lecteurs de La Pépinière.

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