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Mondes imaginaires : autour des sorcières (2)

L’association Mondes Imaginaires, fondée en 2019, regroupe trois anciennes étudiantes en Lettres qui, au terme de leurs études, sont arrivées à une constatation : bien souvent (trop souvent), les littératures de l’imaginaire sont décriées et dévalorisées. Pourtant, l’histoire se construit sur un imaginaire, une conscience collective, et une transmission des mythes dits fondateurs. 

Mondes Imaginaires proposent donc des ateliers participatifs et créatifs aux enfants comme aux adultes, afin que les univers fictifs viennent nourrir le quotidien. User du pas de côté qu’offrent des moments de créativité permet d’enrichir la réflexion à travers des points de vue différents et des concepts innovants. Tous les mois, Mondes Imaginaires proposent un atelier d’écriture créative sur un thème différent. Ensemble, nous explorons diverses facettes de l’écriture et de l’imaginaire. Le but est avant tout d’oser écrire, dans un climat de bienveillance, tout en acquérant de la confiance en soi. Chaque thématique est présentée grâce à des ouvrages qui servent de référence (en science-fiction, fantasy ou fantastique), parfois avec un ancrage historique – ce qui permet de stimuler l’imaginaire. Les participants peuvent, s’ils le souhaitent, intégrer des éléments proposés par les animatrices dans leurs écrits. L’atelier se clôt par un partage volontaire des créations. Un seul mot d’ordre : imaginer !

Les textes que vous découvrirez au sein de cette rubrique sont tous issus de ces ateliers. Le texte du jour est signé par David Weber. Son défi ? S’emparer du thème de la sorcière, mais dans un contexte particulier, puisqu’il nous propose de rencontrer la dernière sorcière condamnée à Genève : Michée Chauderon. Attention, ce sera sanglant… Bonne lecture !

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Sorcière

Nous étions au lendemain d’une des nuits les plus atroces de toute l’histoire de Genève. Les Savoyards, ces envoyés du diable, nous avaient attaqués durant la nuit. Cette guerre éclair avait été annoncée dans une prophétie, longtemps auparavant : « Le jour où l’armée du diable viendra frapper à nos portes, sa fille naîtra dans notre monde. »

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Je vis le jours dans une maison à moitié détruite. Sentant le terme proche, ma mère s’accroupit et m’expulsa comme on se mouche. J’étais la huitième fille à voir le jour dans cette famille qui devint la mienne. Mon nom officiel était Michée Chaudron, mais les miens m’appelaient Beltane, car ma mère était une sorcière et elle nous nommait suivant l’ancienne fête païenne au cours de laquelle nous naissions. Si je parle aujourd’hui d’elle au passé, c’est parce qu’elle est morte en me donnant la vie. On m’a raconté plus tard qu’elle s’est vidée de son sang, me laissant seule, nourrisson, à patauger dans ce liquide chaud…

Les années ont passé, depuis. Je fais profil bas, car mes frères et sœurs me haïssent et me rendent responsable de la mère de notre mère. À l’entoure, tout le monde est au courant de la prophétie qui me concerne. Cela ne m’empêche pas de m’adonner à sorcellerie ; je connais les secrets des plantes, les fêtes à respecter, les arcanes afin de créer talismans et sortilèges. Le tout est de rester discrète.

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Un jour pourtant, alors que je revenais du marché, une femme m’accosta. Elle semblait me connaître sans que cela soit réciproque. Elle me raconta une multitude de choses – sur moi et mon destin. Interloquée, je l’écoutai et ses explications répondirent à certaines questions qui me taraudaient depuis longtemps.

J’appris ainsi ce que représentait la prophétie, pourquoi elle parlait de moi… mais également la manière dont je devais mener ma vie. Et bien d’autres choses encore…

Cette femme m’apprit que le soir même, dans les champs avoisinant Genève, un groupe de druidesses, chamanes et autres sorcières allait se réunir pour fêter Litha, la célébration de la mi-été. Je décidai de l’accompagner à ce rassemblement. Le reste de l’après-midi se perdit en discussions, la femme m’enseignant des sortilèges puissants me permettant de tester les limites de mes pouvoirs.

Le soir venu, nous quittâmes l’enceinte de la ville et marchâmes longtemps, pour nous aventurer dans les champs qui bordaient la cité. Là, nous rejoignîmes un groupe de femmes et d’hommes, qui dansaient et chantent autour d’un feu. On me servit une boisson chaude, préparée à base de café de glands. Après avoir ingurgité le breuvage, mon corps commença à bouger de droite à gauche, puis d’avant en arrière, comme mû par une volonté propre. Ma bouche se mit à chanter toute seule des mots que je ne comprenais pas. Le feu brûlait de plus en plus fort. À chaque fin de phrase, une gerbe de flammes, toujours plus grande, partait vers le ciel.

On me servit un deuxième verre, puis un troisième… et d’un seul coup, je me soulevai dans les airs. Je commençai à crier une incantation, qui transforma toute l’assemblée en créatures assoiffées de sang. Ravie, je leur ordonnai en langue démoniaque de pénétrer dans la ville et de s’y repaître de ses habitants. Je les regardai partir, un immense sourire aux lèvres… Les créatures entrèrent dans la ville sans défense. J’entendis les cris des femmes, des enfants et des hommes qui, impuissants, succombaient sous les griffes des monstres. J’avançai à mon tour vers la ville, lévitant toujours dans les airs, et commençai à jeter des boules de feu créées par des sortilèges. La ville se consuma, réchauffant mon cœur…

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Cette nuit de cauchemar n’a été qu’une étape. Pour permettre à mon père véritable de s’incarner dans ce monde mortel, il faudra plus de souffrance, plus de cruauté encore. Je ne dois pas seulement brûler et dévorer les villes, mais aussi insuffler dans le cœur des gens méfiance, haine, jalousie. Plus les êtres humains seront mauvais, plus ils s’entretueront par jalousie et trahirons les leurs, plus la puissance de mon père se renforcera – jusqu’à ce qu’il traverse enfin la barrière qui le sépare de moi. À ce prix seulement, il parviendra à me rejoindre dans ce monde.

Désormais, je comprends enfin quel est mon destin. À moi de tout entreprendre, dès lors, pour ne pas y déroger.

David Weber

Photo : © Pexels

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