Les réverbères : arts vivants

Être dans la merde et y contribuer

Après sa sortie de résidence au Pitoeff, la compagnie Où sommes-nous ? se produira dès le 8 février à l’Étincelle, avec Rien ne me sépare de la merde qui m’entoure. Un texte puissant de Virginie Despentes, qui en dit long sur les paradoxes et l’absurdité de notre monde.

Le discours de Virginie Despentes a été imaginé durant ce qu’elle nomme le « cataclysme Covid ». L’entrée en matière du spectacle, avec un rappel des consignes sanitaires, nous fait immédiatement entrer dans le contexte. Dans Rien ne me sépare de la merde qui m’entoure, elle réfléchit sur notre société, ceux qui la dirigent, les changements possibles et ce qui s’y oppose. Dans cette injonction à faire corps collectifs, elle veut faire bouger les choses, dans une forme de révolution en douceur. Une façon de penser qui montre bien tout le paradoxe de notre société.

Un OTNI

Le spectacle mis en scène par Véronique Ros de la Grange se présente comme un Objet Théâtral Non Identifié, mélangeant différents genres et médias. Ce qui marque d’abord, c’est ce va-et-vient entre théâtre et musique. On pourrait qualifier le spectacle de postdramatique, dans la mesure où il ne semble pas y avoir véritablement de trame narrative, comme si le discours surgissait au fil de la pensée de Virginie Despentes, représentée ici par les deux comédien·ne·s que sont Céline Goormaghtigh et Jacques Michel, et les deux musiciennes, Furioza et Béatrice Graf. Cette volonté de casser les codes et les barrières est renforcée par l’ambiance très punk, voire cyberpunk qui se dégage de la scène. À commencer par le décor : un mur en tôle sur lequel trônent des tags et affiches aux accents féministes et révolutionnaires. La musique, jouée en live, à grands renforts de percussions, résonne comme un mouvement qui frappe et cogne. Sans oublier les costumes des deux musiciennes, en noir et blanc, composé comme une sorte de patchwork, avec corsets, bretelles et grosses baskets. Un style difficile à définir, mais qui illustre cette volonté de ne pas suivre la mode ou ce qu’on voit au quotidien. Se démarquer, en somme. Alors, on pense d’abord à un appel à l’anarchie. Mais il serait trop simple de résumer le spectacle ainsi, car se dégage également une certaine douceur et un côté très absurde qui rend cet objet théâtral difficilement définissable.

Même au sein de la partie théâtrale, les signes sont contradictoires. On pense assister à une forme de tragédie moderne, avec ce monologue initial scandé par Céline Goormaghtigh et repris en cœur par les trois autres, comme pour dire à quel point le monde va mal. Mais quand Jacques Michel prend la parole, c’est à un clown triste que nous avons à faire, avec son maquillage blanc et sa chemise à froufrous. Sa gestuelle sautillante et ses expressions évoquent par moments la folie, comme pour tourner le monde en dérision et montrer cette schizophrénie dans laquelle nous vivons et qui se retrouve dans les propos de Virginie Despentes.

Tout en paradoxes

« Toutes les propagandes me traversent, toutes les propagandes parlent à travers moi. Rien ne me sépare de la merde qui m’entoure, rien sauf le désir de croire que ce monde est une matière molle, que ce qui est vrai aujourd’hui peut avoir disparu demain et qu’il n’est pas encore écrit que cela soit une mauvaise chose.[1] »

Notre ressenti durant le spectacle est contradictoire. Tout le long, violence et douceur s’opposent, comme on peut le voir avec l’utilisation de rubans de gymnastique, avec des mouvements d’une fluidité inégalable, tout en appelant à la révolution sur une musique forte et rythmée comme des coups de poings. On remarque aussi l’opposition entre le discours féministe et les danses lascives de Furioza, qui oscille entre quelque chose de l’ordre de la séduction et une affirmation de cette volonté de faire ce qu’on veut. Comme une opposition entre une image traditionnelle et plutôt rétrograde et ce que le féminisme nous enseigne et revendique.

Tout le texte est d’ailleurs fait de ce paradoxe, qui rappelle que nous nous complaisons dans ce monde dont nous ne voulons plus. Notre confort nous convient finalement plutôt bien et on se laisse embrigader par la propagande. Et même si l’on veut que les choses changent, on a peur aussi de l’inconnu. Et si c’était pire après ? Comme si nous avions conscience d’être dans la merde, mais qu’on y contribuait également, à travers soi-même et les autres :

 « J’ai l’impression de vivre avec 10 000 keufs à l’intérieur de ma tête ; les vrais keufs, les keufs des autres, les keufs des adversaires, les keufs de mes amis. Je suis devenue un camp pénitentiaire à moi toute seule avec des frontières de partout ; entre ce qui est bien et ce qui est mal, entre ce qui me plait et ce qui me déplait, entre ce qui me sert et ce qui me dessert, entre ce qui est bénéfique et ce qui est morbide, ce qui est permis et ce qui est interdit. »

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Rien ne me sépare de la merde qui m’entoure, d’après Virginie Despentes, par la Compagnie Où sommes-nous ?,  à l’Étincelle du 8 au 18 février 2023.

Mise en scène : Véronique Ros de la Grange

Avec Céline Goormaghtigh, Jacques Michel, Furioza et Béatrice Graf

https://www.ousommesnous-compagnie.com/

Photos : © Cie Où sommes-nous ?

[1] Toutes les citations sont issues du dossier de presse et sont des extraits du texte du spectacle.

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

2 réflexions sur “Être dans la merde et y contribuer

  • gunzinger

    Bonjour,
    J’ai vu la pièce qui m’a plue. Mais qui est Furioza? A-t-elle un prénom et un nom comme les autres?
    est-ce secret?
    Jocelyne

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    • La Pépinière

      Bonjour,
      Merci pour votre message ! Furioza est son nom d’artiste et c’est ainsi qu’elle est nommée dans toutes les communications autour du spectacle.

      Meilleures salutations

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