Les réverbères : arts vivants

Être un garçon

Pour la quatrième saison consécutive, la Pépinière collabore avec la Maison Saint-Gervais et propose des reportages autour des créations. A cette occasion, et à quelques jours de la première de Pauvres Garçons, j’ai rencontré, à l’heure du café et des croissants, Davide Brancato. Au bout du fil, il me raconte les coulisses de ce solo qui sera à découvrir du 13 au 23 mars.

Quand j’invite Davide à se présenter en quelques mots, il fait appel à la première phrase de sa biographie écrite à L’Abri « Une diva, une icône, une madone à paillettes, en tout cas enfin il aimerait bien », ou pour le dire autrement, mais toujours avec poésie, il se rêve en Dalida à l’Olympia. Après une première formation comme cuisinier, il monte à Paris pour suivre les cours Florent, il fréquente ensuite la Manufacture, puis a la chance d’être comédien résident à l’Abri. Son premier spectacle créé avec Coline Bardin en 2021, (No)Sex Friends, est présenté à l’occasion du festival C’est déjà demain. Les deux comédien·ne·s abordent la complexité des mondes réels et virtuels sous l’angle de l’amour au temps du numérique et des applications de rencontres, en mêlant théâtre et émission de radio. Quant à Pauvres Garçons, c’est son premier solo, et sa première création dans une programmation et un cadre professionnalisant.

I’m just a poor boy

A l’origine du projet, une chanson extrêmement connue, mais nous y reviendrons, et des questions que le comédien se pose lui-même et qu’il souhaite partager sur scène autour de ce qu’il nomme un mythe : la masculinité. Extrêmement présente dans notre société, cette injonction à être fort, vaillant et viril, est, pour Davide, à la fois ridicule, risible et terriblement dramatique. Il faut en avoir peur. Elle suscite également l’envie d’agir, mais avec d’autres codes que ceux inculqués par le patriarcat. C’est donc au cœur de nombreux questionnements, sans vouloir apporter de réponses définitives ou de solutions, mais peut-être des possibilités, que Pauvres garçons trouve une partie de sa forme et nous propose un regard non-hétéronormé sur les masculinités.

Revenons, maintenant, à la chanson. Si je vous dis « Je ne suis qu’un pauvre garçon, Je n’ai pas besoin de compassion » ou en anglais « I’m just a poor boy, I need no sympathy ». Vous devinez ? Ce sont les paroles de Bohemian Rhapsody, écrites par Freddie Mercury et sorties en 1975. Fil rouge  et point de départ du spectacle, cette chanson arrive à Davide à Barcelone, lors d’une résidence pour un court-métrage documentaire. A maintes reprises, à la question: quelle chanson ou quel groupe évoque pour vous le mieux la masculinité ?, la réponse qu’on lui donne, intéressante et paradoxale, est Freddie Mercury, figure iconique et flamboyante reconnaissable entre toutes par quelques attributs notamment pileux, véritable show-man aux chansons reprises et chantées par absolument tous et toutes.

Cette chanson  donne également son titre au solo : Pauvres Garçons, avec l’ajout du pluriel pour lui offrir encore un autre sens…plus ironique cette fois-ci. Le mot « garçon » lui aussi n’est pas anodin. Davide me confie qu’il souhaite d’ailleurs rester un garçon, et ne jamais devenir un homme, comme lui demande ou lui exige pourtant la société. Être garçon, pour lui, signifie être en construction permanente, en éternel apprentissage, c’est ne pas être ou ne pas devenir un produit fini et attendu de la société. La thématique de la masculinité mêlant, presque par essence, le personnel et des questions de société, sur scène c’est lui que l’on retrouvera mais pas seulement, il incarnera aussi des personnages. Autant de facettes qui tendent à devenir un « je »  – jouant ainsi des codes de l’autofiction – mais avec toujours une même préoccupation, qui n’a rien de fictionnelle : comment devenir une meilleure personne, tout en évitant le piège de la sublimation ou de l’idéalisation, à savoir oser montrer l’humain dans ses contradictions.

Is this just fantasy?

On voyagera, on vacillera, entre le rêve, la fiction et la réalité, comme le dit la chanson « Is this the real life? Is this just fantasy? Caught in a landscape, no escape from reality ». A la question, pourquoi avoir choisi un univers onirique pour cette pièce ? Davide répond, un peu pour plaisanter : pour se dédouaner. Si ce n’est pas totalement faux, et que les simples paroles de Freddie Mercury suffisent, le comédien ajoute néanmoins encore une autre raison : le théâtre est déjà en soi onirique. Mettant ainsi la forme et le fond, il rapproche les mondes du rêve et de la scène, considérant ces deux lieux magiques comme des endroits qui transportent et emmènent, des espaces de liberté. Mais attention le rêve n’est pas utopie, au contraire, il est un élan vers une possible réalité.

Une équipe de rêve

Ce rêve peut prendre forme notamment grâce à une équipe, c’est pour cela que Davide, préfère à l’expression de seul-en-scène, celle de solo. En effet, il n’est pas seul, à la co-mise en scène on trouve Agathe Hazard Raboud et en marraine la bonne fée, comme il la surnomme, Noémie Griess. Pour la qualité du travail de corps, il a travaillé avec Délia Krayenbühl, et pour la création son avec Alma Catin. Du côté du texte, il y aura des écrits personnels de Davide, mais également l’envie de faire entendre des textes d’auteur·ice·x·s qui lui sont cher·e·x·s. Il a ainsi travaillé avec Camille Desombres, auteur de « Pédé·s dans la peau » pour le recueil collectif Pédés aux éditions Points et du podcast Pédés: réinventer le monde, pour LSD. On pourra aussi retrouver des passages de Créatine de Victor Malzac, et de brefs, mais néanmoins sublimes, extraits de Kim de L’Horizon, auteur·ice·x de Hêtre pourpre, lauréat du Prix du livre allemand et Pris suisse du livre.

Du côté visuel, on plongera dans une esthétique camp tout en excès et exagération, gardée mystérieuse et secrète, que nous avons hâte de découvrir, avec Lucie Meyer à la scénographie, Safia Semlali aux costumes et Vincent Scalbert aux lumières.

Un croissant plus tard et une tasse vide, la discussion s’achève, mais l’envie est là, encore plus grande, de découvrir ce spectacle né de Bohemian Rhapsody – véritable poème dramatique  pour Davide – faisant écho à sa propre existence et évoquant surtout l’envie, voire même la possibilité, de devenir soi.

Charlotte Curchod

Infos pratiques :

Pauvres garçons, de Davide Brancato, à la Maison Saint-Gervais du 13 au 23 mars 2025

Mise en scène : Davide Brancato, Agathe Hazard Raboud

Avec Davide Brancato

https://saintgervais.ch/spectacle/pauvres-garcons/

Photos : ©DR

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *