Les réverbères : arts vivants

Festival Groove’N’Move : L’heure des apprentissages dansés

En deux temps trois mouvements, les B-boys et B-girls du festival Groove’N’Move campent les origines du groove infusé dans le funk de James Brown jusqu’aux pistes de breakdance de Dj Grandmasterflash, sans oublier Afrika Bambaattaa, bien sûr. Ici, on apprend en dansant.

Artur enseigne, introduit, rend palpable le breakdance au public de l’Undertown, prêt à venir tester de nouveaux mouvements, de nouvelles torsions en ce mardi soir. Professeur à l’école de danse Groove à Neuchâtel en dehors du festival, il est de ces personnes qu’on aimerait avoir avec soi au quotidien. Il n’est pas dogmatique, souhaite que chacun, avant de le suivre dans les figures traditionnelles (le six-step, le footwork, le freeze…) du breakdance, vibre seul aux rythmes crachés par les haut-parleurs. Il fait taire notre appréhension du faux-pas ; selon lui, aucun pas n’est faux, puisqu’il suffit de l’assumer. Le breakdance est une question d’attitude ; il véhicule d’ailleurs toute une histoire d’identité retrouvée, de fierté gagnée au fil des battles s’opérant dans le Bronx new-yorkais dès les années 70. Il confère une importance sans égal aux temps musicaux des pistes qu’il nous donne à écouter ; le « break » désigne en effet le pont entre deux phrases musicales, et c’est sur ce temps qu’il faut apprendre à rebondir. Artur parle de l’art que les danseuses et danseurs de breakdance (B-boys, B-girls) ont pour faire coïncider leurs mouvements sur les temps imposés par la musique, mais aussi pour faire découvrir aux spectateurs, dans la rue ou dans une salle trépignant d’impatience, d’autres temps d’abord inaudibles. Voilà une danse aux pouvoirs multiples pour laquelle on a tout d’un coup envie de s’époumoner !

À l’atelier succède le laboratoire pédagogique qui regroupe des danseurs plus expérimentés. Là, Artur joue le rôle d’une armoire à mille tiroirs, renfermant des techniques précieuses que chaque professeur de danse pourra s’approprier. N’étant pas versée dans l’art d’enseigner la danse, je n’ai pas pu pleinement profiter des méthodes du Neuchâtelois. Toutefois, ses approches pédagogiques seront de valeur dans bien des situations : pourquoi ne pas tirer une nouvelle figure de danse du mouvement qu’un élève forme par hasard en descendant sur un genou, avec cette main placée ici ou là ? Et si le savoir pouvait découler des expériences de l’apprenant… et non pas lui être plaqué depuis le haut, comme trop souvent ! Manière de dire que s’il fallait cocher une case dans l’agenda 2020, c’est bien celle de l’Atelier et laboratoire d’Artur Libanio.

Le lendemain de ces premiers pas en breakdance, j’ai poursuivi mon parcours urbain jusqu’à la conférence dansée From Scratch. À partir de zéro. L’évènement porte bien son nom : ce sont à partir des commentaires des spectateurs (souvent très au clair avec les notions !) que les trois intervenants  de la Compagnie Iffra Dia bâtissent le savoir autour du hiphop et du breakdance. Les trois danseurs au profil d’athlète aiguillent notre intérêt en questionnant leurs auditeurs : Qui citera donc les différentes sources d’inspiration du hiphop, hum ?

Comme pour récompenser les bonnes réponses lancées au hasard par l’assemblée (enfin quoique certaines explications laissent à penser qu’il y avait de vrais pros camouflés parmi nous), chaque nouvelle danse est interprétée par l’un des trois B-boys, guidée parfois par l’un des spectateurs ou amorcée par un extrait vidéo projeté en fond de scène. On découvre ainsi le funky chicken, le popping. On apprécie les trésors tirés des archives, comme par exemple Joey Starr aux chevilles agiles, ailées adulé par une foule d’autres danseurs.

Ce n’est pas une conférence comme les autres : participative, elle a des contours plutôt flexibles, chacun semblant pouvoir franchir la ligne séparant public et artiste-s. L’entrée en matière aurait toutefois pu être davantage précisée, afin d’écourter le moment de flottement du début. Deux hommes affublés d’une combinaison blanche entrent en scène ; ils ont l’air de deux laborantins, deux scientifiques, ce qui semble dans un premier temps plutôt en décalage avec le caractère flou et mouvant des origines du hiphop. Ils sont pourtant la preuve vivante que cette danse découle d’une série d’innombrables tentatives réussies ou rattrapées de justesse, simplement d’une autre façon que celle que l’on avait imaginée.

Et puis, il faut ajouter que le hiphop, au-delà du mouvement qu’il réveille chez son danseur, ne serait rien sans sa musicalité. Entre deux démonstrations – les danseurs une fois immobiles – nous est présenté le scratch. Ce fameux scratch qui continue d’être au cœur de la culture du hiphop. Résultat d’une manipulation inattendue d’un vinyle, le scratch désigne ce procédé selon lequel la vitesse de rotation du vinyle est tout à coup ralentie. S’il est devenu populaire, c’est grâce au morceau The Adventures of the Wheels of Steel du DJ Grandmasterflash. Aurez-vous le temps de l’écouter avant la battle de ce week-end ?

 Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

FESTIVAL INTERNATIONAL DE DANSES URBAINES 9EME EDITION, du 15–26 mars 2019 à Genève.

 Atelier et laboratoire d‘Artur Libanio du 19 mars à l‘Undertown, Meyrin.

 From Scratch, Conférence dansée d’Iffra Dia du 20 mars à l’Undertown, Meyrin.

 Avec : Artur Libanio, Iffra Dia, Massamba Djibalène

Photos : ©Garde Robe (pour la conférence), © Etien Photography

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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