Les réverbères : arts vivants

Gnocchi : la cuisine, une histoire de famille

Dans le cadre d’un partenariat avec les Scènes du Grütli, nous avons rencontré Paola Pagani et Antonio Buil, qui présenteront Gnocchi dès le 6 mai… en appartement ! Un lieu particulier pour un spectacle intimiste, dont ils ont pu nous parler, avant de nous le montrer.

En arrivant dans l’appartement de Paola Pagani, là où se jouera ce spectacle, on ressent immédiatement une atmosphère chaleureuse. L’accueil est bienveillant, les sourires sont de mises. On s’installe rapidement dans la cuisine, dans laquelle se déroulera la première partie de la pièce. Paola commence par excuser Barbara Schlittler, qui collabore sur ce projet – et pour la première fois avec le duo – sur des questions de mise en scène et de costumes, et n’a malheureusement pas pu être présente ce jour-là. Paola et Antonio n’en sont pas à leur coup d’essai en ce qui concerne l’exploration de nouveaux espaces dans le milieu théâtral, après avoir joué La nuit américaine à bord d’une Mercedes.

C’est à l’occasion de la Fête du Théâtre que Paola Pagani a été interpellée pour organiser un atelier autour de la cuisine. Transformant légèrement l’idée, elle a accueilli des inconnu·e·s chez elle pour la première et a beaucoup apprécié ce moment de partage. L’idée lui est alors venue d’explorer l’espace intime de l’appartement, avec tout ce qu’il a à raconter. Avec les Scènes du Grütli, il a même été décidé de jouer Gnocchi sous différents toits, le premier à Meyrin en février dernier, cette fois-ci près de Plainpalais, puis en juin à Bellevue, avant d’éventuelles reprises la saison prochaine. Le grand avantage est de pouvoir se faufiler dans les petits espaces restants d’une saison, avec une certaine souplesse quant à l’organisation. Pour autant que les autres locataires, à commencer par les chats, soient d’accord de laisser le logement libre !

Transmission, origine et héritage

Avec Gnocchi, il est question de transmettre, de parler des origines et de l’héritage, à travers la cuisine. Dans la première partie de la pièce, les spectateur·ice·s prendront place autour des fourneaux, alors que les casseroles seront en train de bouillir. Paola, ou plutôt Ornella Galli, débarquera pour accueillir tout le monde et préparer ses gnocchis. Elle en profitera pour raconter la relation à sa mère, l’histoire de son village d’origine, parler du patois, de son intégration à Genève avec l’apprentissage du français, fera des références à des auteurs célèbres. Et surtout, surtout, elle parlera de son fils, Renato, parti travailler au Mexique. La seconde partie nous emmène dans un autre espace, celui du salon, en compagnie du fils en question, qui, à son tour, évoquera sa relation à sa mère, avec une belle tendresse et beaucoup d’humour. Mais n’en disons pas plus ici.

Dans Gnocchi donc, on oscille sans arrêt entre réalité et fiction. Est-on vraiment chez Paola ? Chez Ornella ? Une partie de l’histoire est vraie, comme le cousin Richard, qui sera régulièrement évoqué, tandis que d’autres anecdotes sont inventées pour l’occasion. Paola et Antonio ont ainsi pêché dans leurs souvenirs, et se sont laissés aller lors de l’écriture du spectacle, conservant certains éléments tout en en écartant d’autres. Il a aussi fallu intégrer l’accent espagnol d’Antonio dans l’histoire de cette famille italienne, pour le justifier. C’est sur ce va-et-vient entre réalité et fiction que le duo a souhaité jouer, et c’est ce qui fait toute la force de sa théâtralité. En explorant ce nouveau lieu, il et elle ont découvert des choses inattendues.

S’approprier les lieux

L’avantage de pouvoir répéter à la maison, c’est de pouvoir mettre le lieu à disposition facilement, avec un certain confort. Pour autant, il faut aussi s’approprier l’espace, le privé et le public se mêlant comme jamais. Comment, dès lors, faire exister la fiction dans cet endroit, amener le théâtre dans cette cuisine où Paola évolue au quotidien ? La question s’est aussi posée lorsqu’il a fallu jouer à Meyrin, en janvier. Pour les personnes qui ont hébergé le spectacle, c’était aussi une forme d’aventure et un investissement certain, bien qu’avant tout humain.

Si le spectacle est aujourd’hui en quelque sorte stabilisé, après avoir été déjà joué durant une série de représentations, il faut toutefois constamment l’adapter. En fonction du lieu d’abord, qui ne permet pas forcément la même organisation. À Meyrin, par exemple, impossible de jouer dans la cuisine, trop petite. Comment imaginer le changement d’espace, alors ? Et puis, on ne peut pas moduler le décor à l’envi, comme sur une scène de théâtre. Il faut faire avec toutes les traces de vie qui sont déjà présentes. Le rapport au public peut également changer d’un quartier à l’autre, avec une population tout à fait différente.

Une connivence qui s’installe

Par la particularité du dispositif, une forme de proximité est forcément présente entre les deux comédien·ne·s et le public. Les interactions sont nombreuses durant le spectacle, même s’il n’est pas demandé aux spectateur·ice·s de participer à proprement parler. Disons plutôt que le texte leur est adressé, comme à des ami·e·s venu·e·s partager l’instant présent. À la fin des représentations, certain·e·s ont ainsi envie de rester, de témoigner, d’évoquer les souvenirs qui leur sont remontés à l’esprit, de partager tout simplement.

Il faut dire qu’à travers la thématique première de la cuisine, ce sont de nombreux autres thèmes qui sont abordés, avec tout ce que ce moment de préparation contient. Sans trop vous en dévoiler, on vous parlera du partage, cette transmission omniprésente dans la cuisine d’Ornella. Il y a bien sûr aussi le plaisir, mais aussi l’amour, de la cuisine et de la famille, qui nous est narré. Le tout est subtilement intégré aux récits et autres anecdotes partagées par Ornella et Renato. On apprend même que les gnocchis peuvent sauver des vies ! On notera aussi cette transition entre les deux parties, qui permet de montrer un autre point de vue sur la transmission, celui du fils qui l’a reçue, en comparaison avec la mère qui en était à la source. Les deux parties agissent ainsi comme deux pendants l’une de l’autre, et les nombreux allers-retours dans les récits permettent de créer un véritable lien entre tout ce qui nous est raconté.

Histoire du lieu

Au-delà d’habiter l’espace, il s’agit aussi d’habiter les choses, d’apprendre à jouer avec les différents objets, les meubles. L’appartement de Meyrin, au contraire de celui de Paola, était marqué par de nombreuses photos et souvenirs accrochés au mur. Un joli contraste avec les murs blancs de l’appartement de Plainpalais. C’est dans ces moments-là que le rôle de Barbara a été prépondérant, pour assurer au duo que cela pouvait fonctionner, moyennant quelques ajustements par rapport à l’organisation du lieu. Mais le texte est si fort qu’il peut dépasser cet obstacle. On vous laissera toutefois sur ces jolis mots prononcés par Antonio et Paola, qui en disent beaucoup sur leur façon de travailler, mais aussi sur ce qui fait la beauté des arts vivants : « On aime douter de ce qu’on fait. »

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Gnocchi, par le Teatro Due Punti, aux Scènes du Grütli (en appartement), du 6 au 11 mai 2025.

Conception : Paola Pagani

Écriture collective et jeu : Antonio Buil et Paola Pagani

Collaboration à la mise en scène et costumes : Barbara Schlittler

Vidéos et photos : Erika Irmler

Administration : Léonore Friedli

Production : Teatro Due Punti

Coproduction : Les Scènes du Grütli

https://grutli.ch/spectacle/gnocchi-a-plainpalais

Photos : ©Magali Dougados

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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