Le banc : cinéma

Gran Torino : apprendre la vie à tout âge

L’histoire d’un vétéran patriote et raciste, dont la vie sera bouleversée par sa rencontre avec son jeune voisin asiatique. Voici, en bref, de quoi traite Gran Torino, réalisé par Clint Eastwood en 2008. Un film bouleversant, pour un parcours initiatique inattendu.

Walt Kowalski (Clint Eastwood) est un vétéran de la guerre de Corée qui vient de perdre sa femme. Bourru, profondément raciste et patriote – il a longtemps travaillé pour les usines Ford – il entretient des relations compliquées avec ses deux fils ainsi qu’avec ses voisins hmong[1]. Autant dire que le tableau initial n’est pas flatteur pour le protagoniste de cette histoire. Et quand un jeune prêtre fait tout pour que l’homme vienne se confesser, tentant ainsi de faire respecter l’une des dernières volontés de l’épouse de ce dernier, cela ne va pas arranger les choses… Pourtant, tout va changer lorsque les voisins de Walt sont attaqués par un gang mené par le cousin de ceux-ci et qui déborde sur la pelouse de M. Kowalski. Dès lors, tout change : Walt sympathise avec Sue (Ahney Her) et son petit frère Thao (Bee Vang), qu’il prendra désormais sous son aile. Sans savoir dans quoi cela l’entraînera…

Un parcours initiatique

Précisons ici que les deux hmongs avec qui Walt finit par se lier d’amitié ne sont pas des acteur·trice·s professionnel·le·s. L’évolution et l’apprentissage que proposent le film ne se cantonnent ainsi pas aux personnages, mais aussi à celles et ceux qui les incarnent. On pourrait croire, de prime abord, que le film raconte le parcours initiatique du jeune Thao, un peu perdu, moqué par les jeunes de son âge et victime d’insultes homophobes, tout cela parce qu’il est timide et s’intéresse plus aux livres qu’au reste… Bref, sa première véritable rencontre avec Walt a lieu autour de la Ford Gran Torino de collection qui donne son titre au film et fait l’objet de toutes les convoitises. Son cousin, chef de gang, lui demande de la voler, en guise de rite initiatique pour le rejoindre. Bien sûr, cela échoue, et Thao finira par rejoindre Walt avec qui il apprendra les bases du bricolage et à qui il rendra de nombreux services, avant d’être engagé dans une entreprise de construction pour payer ses futures études. Pour autant, ce n’est pas tant son évolution qui nous intéresse, mais bien celle de Walt.

Durant tout le film, ce vieux raciste apprendra à connaître ses voisins hmong, leur culture, et finira par abandonner ses préjugés envers eux. On ne tombe toutefois pas dans le pathos, avec une histoire bien ancrée dans la réalité américaine, celle des vétérans de Guerre. À travers ses discussions avec Sue et Thao, on comprend mieux son aversion pour les étrangers. Et si l’on ne cautionne évidemment pas ses remarques d’une violence inouïe, on ne peut qu’éprouver une certaine empathie pour cet homme qui s’assagit petit à petit, jusqu’à son sacrifice final, qu’on vous laisse le soin de découvrir par vous-mêmes. Ce qu’on retient, ce sont les nombreuses facettes de l’être humain montrées par le personnage interprété par Clint Eastwood, de retour devant la caméra après quatre ans d’absence et Million Dollar Baby. Il parvient ainsi à montrer les aspects les plus sombres de l’âme humaine, mais aussi les faux-semblants et la capacité d’ouverture d’esprit, même chez un homme qu’on pensait irrécupérable…

Une esthétique sombre

Gran Torino est un film qui oscille entre les moments sombres et les instants de liesse. Ces contrastes se retrouvent bien dans les couleurs employées. Lorsque le gang de Spider est présent, par exemple, tout paraît terne à l’écran, comme si toute joie de vivre avait quitté les personnages, à commencer par Thao. Au contraire, lorsque Walt évoque sa Gran Torino, découvre les banquets hmong ou transmet son savoir au jeune Thao, tout paraît plus brillant, plus coloré. Les sources de joie sont nombreuses. Pourtant, tout se terminera avec une des nombreuses scènes nocturnes que propose ce film, dans la nuit la plus noire qui soit. Car Gran Torino finit mal, très mal. Sans forcément beaucoup de mots pour expliquer l’issue du film, à l’image de ce que font les hmong. Car c’est dans la tradition de ce peuple de ne pas évoquer les problèmes. Gran Torino nous en apprend ainsi beaucoup, l’air de rien, sur cette communauté issue des montagnes d’Asie du Sud. Et comme pour rendre hommage à leur façon d’être, les enjeux les plus importants passent plus par les gestes, l’image et les non-dits que par la parole. Et de rendre ce film d’autant plus bouleversant.

Fabien Imhof

Référence : Gran Torino, de Clint Eastwood avec Clint Eastwood, Ahney Her, Bee Vang, États-Unis, 2008.

Photos : ©DR

[1] Terme désignant un groupe ethnique des montagnes d’Asie du Sud.

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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