Le banc : cinéma

Huis-clos à suspense sur fond d’espionnage

Pour son deuxième long-métrage, Jérôme Dassier met en scène une Asia Argento magistrale, dans son rôle de recluse, pour laquelle un passé d’espionnage et d’amour ressurgit. Let her kill you (Seule) est à voir aux Cinémas du Grütli dès à présent.

Nous sommes en octobre 2008. Anne (Asia Argento) vit recluse à Saint-Moritz, dans les Grisons, seule avec son chien. Un jour, elle découvre qu’elle est observée, et que des micros ont été placés chez elle. Dès lors, son passé au sein d’un service de renseignements refait surface. Avec lui revient Charlie (Jeanne Balibar), l’agente qui l’a recrutée et avec laquelle elle a vécu une profonde histoire d’amour. Nous la suivrons ensuite à travers cette réminiscence du passé, entre pressions d’un média qui veut dévoiler la vérité et liens entre les services secrets russes et l’élection de Barack Obama en 2004…

L’espionne espionnée

Dans Let her kill you (Seule), nous sommes d’abord marqué·e·s par le jeu des caméras. Durant une bonne partie du films, de nombreux plans sont filmés depuis derrières un arbre, à l’angle d’un mur, de manière parfois tremblante, comme pour placer les spectateur·ice·s dans une position de voyeur·se. Si Anne n’a d’abord pas conscience de cette observation, elle s’en rendra rapidement compte. Et si l’élément qui lui met la puce à l’oreille – le plastique d’emballage d’un paquet de cigarettes malencontreusement laissé à côté de l’emplacement où elle se gare – semble un peu gros, on se dit rapidement que celleux qui l’observent souhaitaient qu’elle le sache.

Dans ce film, nous n’en savons pas plus que la protagoniste à l’écran. Les éléments nous sont dévoilés au fur et à mesure, dans un rythme qui ne permet pas vraiment d’anticiper ou de deviner quoique ce soit : qui est derrière tout cela ? Que veulent-iels ? On ne le découvre qu’au fur et à mesure, au fil des appels téléphoniques reçus par Anne et des flashbacks qu’ils entraînent. Cette focalisation interne permet de créer toute la tension nécessaire au scénario : en nous plaçant au plus près d’elle, on la suit, comme un témoin de son expérience, sans omniscience. C’est sans doute ce qui fait la force de ce film et nous tient en haleine tout du long.

Une Asia Argento magistrale

Seule à l’écran, mis à part son chien et les dernières minutes du film, Asia Argento tient à elle seule tout ce film, dans une forme de huis-clos. Bien que les espaces figurés par les Alpes grisonnes soient immenses, on ressent une forme d’enfermement, plus mental que physique, à travers ses pensées. Les émotions d’Anne sont ainsi exacerbées par la solitude et le sentiment de ne pouvoir compter sur personne. La tension s’insinue petit à petit, et avec elle l’angoisse. Les gros plans sur son visage, ses mains et ses gestes se font de plus en plus présents, pour nous mettre au plus près de l’intrigue. Difficile dès lors de prendre de la distance. Nous voilà complètement inclu·e·s dans cette sorte de thriller psychologique. Cette démarche permet de percevoir toute l’évolution du personnage, entre le pragmatisme de l’espionne qui doit tenter d’agir avec la tête froide et toutes les émotions induites par son statut de femme amoureuse. Ou quand la passion reprend le dessus sur la réflexion…

On en oublierait presque le fond de l’histoire, et le rôle potentiel des services secrets russes dans l’élection de Barack Obama en 2004. Car c’est bien de cela dont il est question, à travers les pressions exercées par Silvercloud, un site qu’on pourrait apparenter à WikiLeaks et qui tend à dévoiler au grand public la vérité sur les dessous de certaines affaires politiques internationales. Au final, la vérité importe peu, et Jérôme Dassier laisse d’ailleurs un certain flou à cet égard. Car c’est véritablement la psychologie d’Anne qui prend le dessus sur le reste.

Let her kill you (Seule) est donc un film difficile à définir, entre huis-clos, thriller psychologique et film d’espionnage. C’est ce qui en fait un objet cinématographique unique et marquant, grâce à une performance majuscule d’Asia Argento et des procédés filmiques particulièrement bien pensés.

Fabien Imhof

Référence :

Let her kill you (Seule), réalisé par Jérôme Dassier, avec Asia Argento, Jeanne Balibar et Joe Rezwin, Suisse/France, sortie en salles le 19 avril 2023.

https://vegafilm.com/titel/let-her-kill-you-2022/

Photos : © DR

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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